L’histoire du citadin décidant un jour de troquer le bruit concret et incessant de la ville contre les paysages calmes et bucoliques de la campagne a longtemps été exploitée sous toutes les coutures.
Avec Bergersadaptation gratuite du livre D’où viens-tu, berger ? de l’auteur Mathyas Lefebure, Sophie Deraspe évite avec délice les clichés et les choses faciles qui viennent trop souvent avec ce genre de comparaison.
Le voyage de Mathyas (Félix-Antoine Duval) en Provence commence, certes, sur la note attendue. Ce dernier a laissé derrière lui toute une existence d’artiste publicitaire alimentée par l’anxiété, avec la ferme intention de devenir berger.
Malgré toutes ses bonnes intentions, Mathyas est vite confronté à la dure réalité d’une agriculture précaire, menacée autant par des pratiques industrielles que par des réglementations souvent rédigées par des bureaucrates qui n’ont pas la moindre idée des conditions et des nombreux défis rencontrés sur le terrain. .
Un propriétaire terrien veut d’abord donner une chance à Mathyas, mais n’a finalement pas le temps de tout lui apprendre avant le début de la période la plus importante de l’année. S’ensuit une visite sur les terres arides d’un agriculteur bourru et à bout de ressources, traitant ses animaux d’une manière qui rappelle un peu trop au personnage principal tout ce qu’il a tenté de laisser derrière lui au Québec.
En ignorant le romantisme fondamental dans lequel baigne habituellement ce type de proposition, Sophie Deraspe rend les déceptions plus amères dans le seul but de rapprocher les petites victoires de son protagoniste et de sa nouvelle compagne Élise (Solène Rigot) – qui a elle aussi décidé d’abandonner la sécurité de sa position de fonctionnaire pour faire un pèlerinage vers l’essentiel, l’état de grâce tant espéré.
Obtenant enfin les conditions idéales pour exercer le métier de leurs rêves, Mathyas et Élise s’installent pour la saison estivale dans un chalet rustique au cœur de la montagne, avec pour mandat de surveiller un troupeau de quelque 800 moutons.
De ce tournant, on pourrait affirmer que le cinéaste québécois est carrément « cinéma lent »nous offrant une série de panoramas magnifiques d’une nature inchangée, habités uniquement par des bêtes et deux individus s’étant tellement retrouvés qu’ils ont enfin trouvé leur place dans ce monde. Le tout au rythme d’un montage tout aussi calme, laissant respirer chaque élément narratif comme si l’on prenait une grande bouffée d’air frais.
La beauté de Bergers réside aussi dans la manière dont Deraspe déploie son univers comme un écosystème, laissant chaque élément s’adapter narrativement et dramatiquement, évoluer à son rythme, s’effondrer, se relever, lutter, et finalement participer au maintien de ce même cycle. se perpétue depuis des siècles.
Si certains dialogues peuvent parfois paraître un peu creux, la cinéaste parvient généralement à ne pas forcer le ton en gardant une distance suffisante avec ce qu’elle filme, appliquant habilement quelques leçons apprises lors de son récent passage au cinéma. documentaire.
Il y a décidément quelque chose d’aussi transcendant qu’authentique dans cette production présentant une réalité sociale, une culture et une tradition sous tous leurs aspects, leurs côtés les plus enviables comme leurs facettes les plus redoutées.
Bergers est un film simple, mais jamais simpliste, beau et apaisant, mais jamais écoeurant, réalisé avec toute la délicatesse et la sincérité souhaitées par l’un de nos meilleurs cinéastes.