Les demandes de notation, « scores » et autres indices destinés à comparer les performances environnementales des produits se multiplient. L’Autorité de la concurrence vient de rendre un avis circonstancié sur le sujet.
Jeudi 9 janvier 2025, l’Autorité de la concurrence a publié un avis sur le secteur des systèmes de notation (1) destiné à informer les consommateurs sur les caractéristiques environnementales des produits et services. L’Autorité examine les risques posés par ces systèmes au prisme de la concurrence. Pour l’essentiel, les obstacles potentiels à la concurrence sont déterminés par la position occupée par l’acteur concerné, selon qu’il bénéficie ou non d’une position dominante sur le marché considéré. Cet avis est le résultat d’une auto-saisine de l’Autorité datant de février 2024.
Multiplication des « scores »
Depuis plusieurs années, les informations sur les caractéristiques environnementales des produits occupent une place croissante. Ces informations, souvent mises à disposition via applications et sous forme de systèmes de notation, sont censés éclairer le consommateur sur les caractéristiques et la composition des produits.
Ces systèmes de notation sont développés par des organismes publics (l’indice de réparabilité ou de durabilité), des entreprises (l’application Yuka), ou encore des associations (QuelProduit de l’UFC-Que Choisir). L’impact environnemental, l’efficacité énergétique et la qualité nutritionnelle des produits sont notamment évalués. Et ce dans de nombreux secteurs : produits cosmétiques, textiles, jouets, électroménager, agroalimentaire, etc.
En rendant l’information plus accessible, ces services « réduire l’asymétrie d’information entre les fabricants et les consommateurs [et permettent] c’est à eux de faire des choix éclairés »explique l’Autorité. De plus, ils « encouragent les entreprises à innover et peuvent contribuer à stimuler la concurrence sur les marchés de produits ou de services qu’elles évaluent ».
Permettre une vraie comparaison
A condition que soient respectées certaines règles qui garantissent que ces services n’entravent pas la concurrence. Premier élément clé : l’éditeur doit s’assurer de la solidité de sa méthode de calcul. Dans ce cas, le choix des critères de notation et leur pondération doivent réellement permettre de comparer les produits.
Ici, l’Autorité « exprime des réserves sur les systèmes de notation développés ou construits conjointement par des concurrents ». Elle craint que ces systèmes attribuent de bonnes notes à la plupart des produits, non pas en fonction de leurs qualités objectives, mais plutôt en raison d’une action concertée des entreprises. L’Autorité évoque une sanction qu’elle a prise à l’encontre des producteurs de revêtements de sol qui s’étaient engagés à ne pas communiquer sur la présence de composés organiques volatils (COV) afin de ne pas différencier leurs produits sur ce paramètre.
L’Autorité attire ainsi l’attention sur l’importance des travaux préparatoires et sur deux écueils à éviter : le risque de collusion ou d’échange d’informations sensibles entre concurrents lors de l’élaboration des indices ; une sélection non représentative des parties prenantes qui donnerait trop de pouvoir à certains acteurs (entreprises et société civile sont souvent en désaccord sur ce point lorsque les pouvoirs publics élaborent des indices, rapporte l’Autorité).
Transparence absolue
L’Autorité souligne également la nécessité de fournir aux utilisateurs une information transparente sur la gouvernance et le fonctionnement du système. Pour ce faire, les éditeurs doivent communiquer leurs sources de financement (et, le cas échéant, la rémunération du système de notation), la liste des participants à la conception du système de notation, leurs liens avec des entités tierces et, plus généralement, toutes éléments pouvant avoir un impact sur la méthode de calcul.
Les éditeurs doivent également informer les entreprises dont les produits sont notés et rendre publiques les caractéristiques environnementales évaluées et les éléments utilisés pour élaborer la notation. Bien entendu, ils doivent s’assurer que les données utilisées sont fiables, vérifier leurs sources et permettre leur correction dans un délai raisonnable (pour tenir compte d’un changement de composition ou d’une erreur).
Peu de cas de dénigrement
L’avis aborde également la mise en œuvre de systèmes de notation. Un premier point concerne l’accès aux données. Globalement, les éditeurs expliquent que ceux-ci sont largement accessibles. Mais l’Autorité rappelle qu’un refus d’accès aux données détenues par une entreprise ou un groupe d’entreprises en position dominante pourrait constituer un abus. Notamment si le refus fausse la concurrence entre les candidatures. L’Autorité craint ici que les entreprises empêchent les éditeurs de fournir leur outil.
Dans le même temps, les entreprises expliquent que les applications attribuent de mauvaises notes aux produits contenant des substances considérées comme nocives, mais qui restent autorisées. L’avis propose une grille d’analyse pour évaluer si une telle pratique constitue un « dénigrement ». Et, dans ce cas, il est peu probable que ce soit le cas puisque l’éditeur du système de notation n’est pas un concurrent de l’entreprise dont les produits sont notés (sauf si l’on considère un accord entre un éditeur et un tiers).
Lobbying, communication sélective et système imposé
Autre sujet abordé : le lobbying des systèmes de notation publics. En matière de concurrence, l’Autorité craint que des organisations professionnelles ou des entreprises ne communiquent des informations trompeuses pour faire valoir leur opinion. Ici, l’Autorité cite notamment le développement de l’indice de durabilité. Là encore, elle juge la situation du point de vue du respect de la concurrence et de la position, dominante ou non, de l’acteur.
Dans le même esprit, l’avis aborde la communication sélective qui consiste à ne pas afficher des notes trop mauvaises (soit parce que le système de notation le prévoit, soit parce qu’un distributeur ne veut pas pénaliser un fournisseur). Cette pratique peut inciter les entreprises à utiliser le système de notation, puisque seuls les « bons » produits apparaissent. Mais là aussi, les entreprises ne doivent pas se coordonner pour ne pas fausser la concurrence.
Enfin, l’Autorité souligne qu’imposer un système de notation à un partenaire commercial pose des problèmes de concurrence si l’éditeur est en position dominante. Ce risque existe pour les distributeurs qui développent leur propre système, notamment s’ils privilégient leurs marques ou s’informent sur les produits concurrents.
Article publié le 10 janvier 2025