Jamais son agence, qui propose d’enquêter sur les employés soupçonnés de se porter malades sans raison réelle, n’a été aussi sollicitée, a déclaré à l’AFP ce professionnel basé à Francfort, la capitale financière du pays.
“Il y a de plus en plus d’entreprises qui ne veulent plus supporter cela”, explique M. Lentz, affirmant recevoir jusqu’à 1.200 demandes de ce type par an, soit deux fois plus qu’il y a quelques années.
“Si quelqu’un a 30, 40 ou parfois jusqu’à 100 jours de maladie par an, à un moment donné, cela devient économiquement inintéressant pour l’employeur”, ajoute le détective installé depuis 1995.
Des géants de l’automobile aux producteurs d’engrais, les entreprises allemandes tirent la sonnette d’alarme sur l’impact des taux élevés d’absentéisme pour maladie sur la plus grande économie d’Europe.
Certains patrons ne mâchent pas leurs mots, comme Ola Kallenius, directeur général de Mercedes-Benz, qui déplore que « l’absentéisme en Allemagne soit parfois deux fois plus élevé que dans d’autres pays européens ».
Tesla, le groupe d’Elon Musk dont l’usine européenne de véhicules électriques est située près de Berlin, a fait la une de la presse en envoyant des cadres sonner au domicile des salariés absents pour vérifier la réalité de leur arrêt maladie.
Les travailleurs allemands ont pris en moyenne 15,1 jours d’arrêt de travail en 2023, contre 11,1 jours en 2021, selon l’institut national des statistiques Destastis.
Et cette tendance devrait s’accentuer encore en 2024 : l’une des principales caisses d’assurance allemandes, TK, indique avoir couvert 14,1 jours de maladie en moyenne par travailleur au cours des neuf premiers mois de l’année, un record.
Selon les données de l’OCDE, les Allemands ont manqué en moyenne 6,8 % de leurs heures de travail en 2023 pour cause de maladie, soit plus que dans les pays voisins comme la France, l’Italie ou l’Espagne.
Si le détective Marcus Lentz traque les fraudeurs, imputer l’augmentation des arrêts maladie aux seuls abus serait un « raccourci dangereux », souligne l’institut WSI de la Fondation Hans Böckler, lié aux syndicats allemands.
Cela revient à “obscurcir les causes réellement pertinentes”, selon Bettina Kohlrausch, directrice scientifique du WSI, qui met en avant des facteurs tels que l’augmentation des maladies respiratoires, les conditions de travail stressantes et l’affaiblissement des systèmes de protection sociale.
Le vieillissement de la population allemande, avec une part de plus en plus importante des plus de 55 ans dans la population active, est également un facteur explicatif.
En France, les statistiques officielles constatent également depuis 2019 une accélération de la hausse des arrêts maladie dans le secteur privé et chez les contractuels de la fonction publique, sans prendre en compte les arrêts maladie liés au Covid-19.
Quelles que soient les raisons de cette tendance, “elle affecte sans aucun doute” les performances de l’Allemagne, déjà en proie à une crise de son modèle économique, a déclaré à l’AFP Claus Michelsen, économiste à l’Association des entreprises allemandes. recherche pharmaceutique (VFA).
Cette fédération avait calculé que l’augmentation des arrêts maladie avait entraîné une baisse significative de la production en 2023 sans laquelle l’économie allemande aurait crû de 0,5%, alors qu’elle s’est contractée de 0,3%.
Un constat corroboré par la Bundesbank selon lequel des taux de maladie « relativement élevés » ont « ralenti l’activité économique » en 2023.
Depuis la pandémie, les patients présentant des symptômes légers peuvent obtenir un arrêt maladie de leur médecin par téléphone. Un dispositif qui, selon ses détracteurs, facilite les abus.
Le phénomène serait amplifié par l’enregistrement plus systématique des arrêts maladie, un nouveau système permettant aux médecins de transmettre automatiquement les arrêts maladie aux caisses d’assurance des patients.
Quant aux fraudeurs repérés par Markus Lentz, une proportion importante profite d’un arrêt maladie pour exercer en parallèle une autre activité, explique-t-il. Comme ce mari aidant le petit commerce de sa femme, ou celui de salariés profitant d’un arrêt maladie de longue durée pour rénover une propriété.
