frontière entre solitude et civilisation

« C’est ça! Le Cap Horn, c’est fait, c’est coché ! “, » exultait Thomas Ruyant, laissant éclater sa joie dans un tourbillon d’émotions, ravi d’avoir franchi la troisième et dernière étape majeure de son tour du monde. ” C’est la frontière avec la civilisation. Nous venons de traverser des océans où nous ne sommes pas vraiment les bienvenus. On y trouve certainement quelque chose. Un albatros est venu jouer avec le bateau. Peut-être mon dernier depuis longtemps. Je me suis surpris pour la première fois en parlant à mon bateau qui a bien résisté et ne m’a pas sali. Ce doit être l’océan qui rend un peu fou ! “, » a ajouté le skipper de VULNERABLE, de retour dans l’Atlantique depuis 18h38 hier soir et imité depuis par Jérémie Beyou puis Nicolas Lunven, respectivement à 5h16, puis à 5h31 ce samedi. On comprend que la traversée du Cap Horn, pour les skippers du Vendée Globe, est plus qu’un simple point de contrôle sur une carte : c’est un événement entre le rite initiatique et la fête de quartier, sauf qu’à la place des guirlandes lumineuses et des voisins sympathiques, vous avez des furieux vents et vagues de la taille d’un gratte-ciel. Après un mois de navigation dans les mers du Sud, ce passage est une porte symbolique, presque mystique, vers un monde plus miséricordieux. Pour beaucoup, c’est comme revenir d’un long séjour dans une colocation infernale avec une météo maussade. Ce bout de terre balayé par des vents aussi subtils qu’une pelle est une délivrance autant qu’une fête. Certains marins parlent d’un souffle d’espoir, d’une promesse de retour à des eaux plus douces. Mais il y a aussi un pincement au cœur. Les mers du Sud, brutales et grandioses, laissent une marque indélébile, un peu comme un tatouage dont on n’est pas sûr de vouloir se débarrasser. Ainsi, le Cap Horn reste bien plus qu’un cap : c’est une collision saisissante entre l’aventure brute et un retour progressif à l’humanité.

Un sentiment d’éloignement à son paroxysme

Mais attention, traverser cette pointe sud de l’Amérique du Sud ne veut pas dire que l’aventure est derrière eux. La longue remontée de l’Atlantique constitue un tout autre défi, aussi stratégique qu’éreintant. Ici, le danger ne vient plus des vagues monstrueuses ou des températures glaciales, mais des subtilités du vent, des systèmes météorologiques imprévisibles et des décisions tactiques qui peuvent faire ou défaire la course. Pas question donc de baisser la garde ni de rêver à l’arrivée. Trouver le meilleur chemin, éviter les pièges : c’est un peu comme jouer à une partie de Tetris où chaque nuage est une pièce qui peut soit vous sauver la mise, soit vous mettre en difficulté. Il faut être rapide, précis et visionnaire, tout en restant vigilant face à la fatigue, ce passager clandestin qui commence sérieusement à prendre trop de place à ce stade de la course. ” C’est très intense depuis le passage du Cap Horn mais le moral est bon. Nous sommes là où nous voulons être », a commenté Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA), actuellement en train de contourner une petite dépression au nord, à la latitude de Montevideo. ” Pour l’instant, ça ne va pas mal, à part quelques fortes rafales que j’attrape car j’arrive près du centre du système, mais si tout va bien, ça devrait passer juste devant moi. Mon objectif est de l’optimiser au mieux pour qu’il me pousse le plus au nord possible. », a détaillé le leader de la flotte. Pour l’instant, il est bien placé, profitant de la courbure de la dépression, configuration qui échappe à son principal rival, Charlie Dalin, positionné plus au sud. L’occasion pour lui de plier bagage ? C’est presque aussi sûr que le soleil se lève à l’Est, mais la tâche requiert de la précision. ” Le défi – relativement grand – est d’atteindre rapidement le front froid stationnaire du cap Frio. Il faut se positionner par rapport à lui et trouver un trou de souris pour se faufiler. Ce n’est pas si facile à faire. Je passe donc beaucoup de temps à l’étudier. », a souligné Yoann qui continuera d’aligner les milles à vive allure pendant encore 24 heures avant de ralentir sensiblement le rythme dans une phase de transition.

 
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