“Je suis une cruche qui fuit […] : Dieu, comme est loin la nuit de joie où j’ai trouvé ta main. […] Par habitude, je te cherche sur le canapé […] mais tu n’es pas là, mais où es-tu ? « . Vous avez peut-être reconnu la chanson de Vianney.
C’est absolument l’Évangile de ce matin : Marie et Joseph, ne trouvant pas Jésus parmi leurs parents et connaissances, retournèrent à Jérusalem en continuant à le chercher.Pourtant, nous venons de célébrer Noël avec Jésus partout dans nos crèches, et notamment dans cette magnifique église, “mais tu n’es pas là, mais où es-tu ?” » : la boule du sapin de Noël est vide ce matin.
Cette absence de Jésus n’est pas seulement au début de l’Évangile, elle est aussi à la fin : le matin de la résurrection, le jeune homme vêtu de blanc, dans le tombeau, pose la question aux trois femmes venues embaumer le corps : Cherchez-vous Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité, il n’est pas là.
Comme mon neveu Noé, 2 ans, un de ses premiers mots a été « encore » quand il ne veut pas arrêter de jouer, comme beaucoup d’enfants, nous aimerions aussi dire à Jésus : « encore ». “Restez encore avec nous.” Mais Jésus semble toujours être ailleurs. “Mais tu n’es pas là, mais où es-tu ?” » : la boule du sapin de Noël est vide tant de matins.
L’absence de Dieu dans nos vies est en réalité une expérience absolument courante et déroutante. Quand on est absent du travail, on prépare une réponse automatique par email du type « Je ne serai pas au bureau du 23 décembre au 3 janvier », quand le boulanger n’est pas là, il met une pancarte sur la porte de sa boulangerie pour informer la date de réouverture… Mais là, rien. “Mais tu n’es pas là, mais où es-tu ?” » A nous de regarder…
C’est à nous de regarder, mais à quoi ça sert réellement ? Aujourd’hui, il y a tellement de raisons de se décourager avant même de se lancer. Autant de violences incompréhensibles qui nous laissent sans voix, quelle qu’en soit l’origine : le harcèlement scolaire ou familial, l’endettement inattendu de certaines entreprises qui remet en cause la poursuite de leurs activités, la salinisation des eaux souterraines des Philippines à la Guyane, les relations tellement compliquées avec ceux que nous l’amour… Il y a une violence dans notre monde aussi cruelle que dans Gladiateur II. Et Dieu ne fait rien, il ne dit rien. “Mais tu n’es pas là, mais où es-tu ?” »
Jean de la Croix parle de la nuit obscure dans laquelle sont plongés ceux qui cherchent Dieu. Il y a bien une tragédie dans la foi chrétienne : « tant que nous ne savons rien de Dieu, nous ne savons rien de cette nuit. Tant que nous ne savons rien de cette nuit, nous ne savons rien de Dieu. En fait, Dieu est toujours ailleurs. Nous pourrions nous y habituer et vivre notre vie sans. Si malgré tout nous le cherchons encore, c’est sans doute parce que d’une manière ou d’une autre, il nous manque, parce que d’une manière ou d’une autre, nous l’aimons. Comme Marie et Joseph, comme les trois femmes, comme tous les disciples depuis près de 2000 ans, y compris Pierre le premier, avec ses paroles : Seigneur, toi qui sais tout, tu sais bien que je t’aime”. Et si on l’aime, c’est parce qu’il a été le premier à nous aimer d’un amour complètement fou. Que nous l’ayons frôlé ou embrassé un jour, cet amour fou a laissé une trace en nous : « tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé » dit Dieu à saint Augustin. C’est la trace de cet amour fou de Dieu pour nous, une sorte de petite chose aussi brûlante que glissante, c’est cette trace laissée dans notre cœur avec un certain goût de Dieu, c’est cette trace qui nous pousse à sa recherche . Elle nourrit en nous une vague intuition, comme le pressentiment que nous pourrions le rencontrer. “Mais tu n’es pas là, mais où es-tu ?” »
De là, où pouvons-nous le joindre pour lui parler et l’entendre ?
Je ne sais pas vraiment : même au moment de la crucifixion, le Père se tait lorsque son Fils l’appelle : mon père, mon père, pourquoi m’as-tu abandonné. Alors simplement, peut-être pouvons-nous nous ouvrir au silence de Dieu en rejoignant le silence en nous-mêmes. En effet, nous portons tous en nous un silence où se cachent les inquiétudes les plus légitimes et les peurs les plus terribles, c’est vrai, mais nous portons tous aussi en nous un silence où prennent leur source les expériences les plus décisives de notre vie: l’amitié, l’amour, le sens de la beauté et de la splendeur de Dieu. Ce carrefour de silences, celui de Dieu et le nôtre, lieu de rencontre le plus intime, ce carrefour de silences deviendra peut-être une étoile dans le vide pour que nous puissions suivre les traces du Christ de manière unifiée et réconciliée.
Si ce qui nous déclenche est un pressentiment de et grand amour quoi nous a donné le Pèreselon la promesse relayée tout au long de l’Évangile, ce que nous découvrirons encore en acceptant de nous laisser prendre derrière le Christ est sans mesure. S’il est ailleurs, c’est pour nous emmener ailleurs. Et pour faire quelques pas de plus chaque jour, il n’y a qu’une petite étoile qui apparaît à la croisée des silences : nous sommes tous tellement aimés, toute notre Sainte Famille, croyants de toutes confessions ou athées ! Et nous le touchons, « encore », nous le touchons encore dans cette Eucharistie que nous vivons ensemble, « parce que le mystère de l’Eucharistie est grand » : nous sommes tous tellement aimés !