« L’Afrique est le moteur de la croissance mondiale », déclare Serge Ekué, président de la BOAD, la Banque ouest-africaine de développement. Malgré les coups d’État des quatre dernières années, le grand banquier béninois reste très optimiste quant à l’économie ouest-africaine. Mais doit-il emprunter à des taux d’intérêt plus élevés ? Et est-il déçu du manque de solidarité internationale, notamment depuis la COP29 sur le climat ? En ligne depuis Lomé, où se trouve le siège de la BOAD, la Banque de développement des pays de l’UEMOA, Serge Ekué, qui préside également le Club international de financement du développement, IDFC, le club des 27 banques publiques de développement, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : De nombreux Africains sont déçus par le résultat de la COP 29 sur le climat qui a débloqué quelque 300 milliards de dollars par an pour les pays du Sud à partir de 2035, alors qu’on en attendait le double. Es-tu déçu toi aussi ?
Serge Ekué : En réalité, la conférence s’est fixé un objectif beaucoup plus ambitieux. Ce n’est donc quand même pas mal et je rappelle que cet objectif est de passer à 1300 milliards par an, d’ici 2035. Cela implique de combiner à la fois les contributions du secteur public et celles du secteur privé, ce qui est une nouveauté. Alors vous savez, je suis plutôt optimiste de nature et je vois le verre à moitié plein. Mais la reconnaissance de la position des pays du Sud par les pays du Nord constitue une étape importante. Il s’agit désormais d’agir et d’aller beaucoup plus vite.
Les pays du Nord refusent de donner davantage si la Chine et les riches pays pétroliers du Golfe n’y contribuent pas également. Et de fait, ces pays devenus riches ne sont-ils pas également devenus de grands pollueurs et pourraient-ils payer davantage pour les pays du Sud ?
Certainement. Vous savez, notre sujet n’est pas vraiment là, dans les pays du Sud. Notre objectif est que le monde reconnaisse que c’est nous qui payons le prix du changement climatique, le prix est élevé et que cette forme d’injustice doit cesser.
Parmi les futurs pays bénéficiant de la finance climat, les pays les moins avancés ne risquent-ils pas de devenir des parents pauvres par rapport aux pays à revenus intermédiaires ?
C’est là le risque et, en fin de compte, la plus grande injustice ici est que les plus faibles paient le prix le plus élevé. Malheureusement, c’est comme ça. Et voyez-vous, le positionnement de la Banque Ouest Africaine de Développement est justement de lutter contre cette injustice en se dotant des meilleurs moyens techniques et financiers possibles pour contribuer à combler le déficit de financement qui est absolument catastrophique, et je pèse mes mots, que cela l’écart soit réduit le plus rapidement possible.
Alors la Guinée-Bissau recevra moins que la Côte d’Ivoire ?
Oui, oui, certes, mais notre sujet, vous le savez, c’est l’article 1 des statuts de la Banque qui stipule que nous devons œuvrer au développement équilibré de notre territoire. Équilibre. Autrement dit, nous devons veiller à ce que ce soit l’Union qui gagne et non un pays contre un autre.
Et dans votre plan stratégique 2021-2025, ce que vous appelez « Joliba », y a-t-il un projet emblématique en matière d’infrastructures en Afrique de l’Ouest ?
Oui, parce que le couloir en fait partie, hein ! Le corridor Lagos-Dakar, via Abidjan et cetera. C’est l’un des projets. Mais je vous rappelle aussi que nous travaillons à la solidarité entre nous et que nous travaillons beaucoup sur des projets régionaux. Je reste optimiste car notre Afrique, et surtout notre sous-région en Afrique de l’Ouest ici, est en forte croissance. Une population jeune et dynamique. Les taux de croissance sont bons, nous avons donc la faiblesse de penser que nous sommes le moteur de la croissance mondiale. Le monde vieillit. L’Afrique, et particulièrement notre Afrique, avec un âge médian d’environ 20 ans, nous pensons donc que la main-d’œuvre, le moteur de la croissance mondiale, se trouve en Afrique de l’Ouest. C’est incontestable.
Parmi les pays actionnaires de votre banque, il y a le Mali, le Niger, le Burkina Faso. Les coups d’État dans ces trois pays ont-ils endommagé votre image et affaibli votre notoriété internationale ?
Alors ce que je peux vous dire c’est qu’après 4 ans, je suis président de cette institution depuis 4 ans, vous aurez constaté que l’agence internationale Moody vient de confirmer notre notation B 2A 1 et vient de venir avec une perspective stable. Nous avions une perspective négative et nous sommes simplement passés à une perspective stable. Ce qui veut dire que notre structure, notre banque, a fait preuve de résilience, comme on dit en français moderne. Et réussit grâce à ses capacités, grâce à son énergie, grâce au leadership de ses dirigeants. Elle parvient à s’imposer. Eh bien, la tâche n’est pas facile, mais elle ne fonctionne pas trop mal.
Vous n’êtes donc pas obligé d’emprunter à un taux d’intérêt plus élevé qu’avant ?
Tout le monde emprunte à un taux plus élevé. Mais la Banque est agile et nous savons nous adapter.
Suite au récentes tensions entre la CEDEAO et les trois pays de l’Alliance des États du Sahel, votre banque poursuit-elle comme avant ses projets de développement au Mali, au Niger et au Burkina Faso, ou est-elle obligée de les revoir à la baisse ?
Les pays que vous mentionnez sont actionnaires. Alors évidemment, nous sommes très prudents. Nous sommes prudents dans notre façon de travailler. Mais je vous l’ai dit, notre Union est solide. L’Union économique et monétaire ouest-africaine est forte. Il nous faut, je vous le rappelle, de la stabilité et vous savez, « l’argent n’aime pas le bruit », dit-on. Je suis assez d’accord avec cet adage.
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