La prospective RH est un exercice délicat : on navigue souvent entre promesses grandioses et éphémères d’un côté, et recyclage des mêmes concepts de l’autre. Essayons de discerner non pas ce qui est nouveau, mais les tendances sur lesquelles un saut qualitatif s’opère.
Il y en a au moins trois principales, qui proviennent d’inflexions majeures nées au début de la décennie :
- Une véritable montée en puissance de l’humain, de l’individu, dans la définition des politiques RH, dans la longue traîne de la crise sanitaire de 2020-2021 ;
- L’essor des technologies issues de l’intelligence artificielle – ChatGPT, dès fin 2022, ayant servi d’ambassadeur à toute une série de nouvelles applications issues de l’IA générative et des algorithmes prédictifs ;
- L’entreprise comme vecteur actif de développement durable, dans sa triple dimension économique, sociale et environnementale, qui s’infiltre de plus en plus dans les processus avec l’entrée en vigueur de la directive CSRD.
Je me permettrai d’emprunter des chiffres et des témoignages à Cahier de tendances RH 2025pour évoquer rapidement ce vaste tableau dynamique.
Les humains, par la force des choses
L’idée du salarié et du candidat comme clients de la fonction RH n’est pas nouvelle ; mais sa mise en œuvre dans la réalité des affaires s’accélère sans aucun doute. On le voit dans le succès grandissant de la notion d’expérience collaborateur. Deux tiers des entreprises françaises déclarent avoir déployé une démarche de ce type, selon le Baromètre expérience collaborateur 2024. Il ne s’agit plus d’afficher de bonnes intentions et, parfois, de les mettre en œuvre, mais plutôt de déployer un processus de transformation permanente – la précision de l’écoute et de l’évaluation garantissant la pertinence et l’efficacité des actions.
Cela devrait aller de pair, en principe, avec une transformation de la culture managériale. Mais cela tarde à se produire : selon le Baromètre 2024 des compétences managérialesdeux tiers des entreprises françaises n’ont pas encore mis en place de démarche systématique de formation des managers. Cependant, la nécessaire transformation managériale passe par une transformation des compétences associées. L’idée fait son chemin, mais la réalité sur le terrain reste encore mitigée.
Pour citer l’analyse de Jérôme Hoarau, expert en management, « les organisations agiles, flexibles et dotées d’une forte culture du feedback seront mieux armées pour faire évoluer de manière proactive leur culture managériale afin de l’adapter aux exigences de notre monde. À l’inverse, les organisations plus rigides et conservatrices seront contraintes de changer de manière réactive et sous l’influence des circonstances. »
Le recrutement est un autre domaine dans lequel l’accent mis sur l’individu a gagné les mentalités mais pas toujours les pratiques. 7 entreprises sur 10 n’ont pas encore mis en place de processus d’expérience candidat (Baromètre SmartRecruiters, 2024). Pourtant, 75 % des professionnels de cette fonction privilégient le recrutement par compétences, selon une étude. enquête LinkedInce qui marque une réelle volonté de s’éloigner des recettes de sourcing traditionnelles pour véritablement évaluer le potentiel de chacun de manière personnalisée.
Force est de constater que l’expertise acquise par la fonction RH dans la mise en œuvre des processus d’expérience collaborateur portera à terme ses fruits et conduira à la transformation tant de la culture managériale que de l’approche de recrutement.
Apprivoiser la machine
Pourquoi cet optimisme ? Car en plus du contexte favorable créé par l’après-Covid, les moyens technologiques sont là. Le digital et l’IA sont en train d’industrialiser l’expérience collaborateur, en facilitant la réalisation d’enquêtes internes et leur analyse, en accélérant les retours d’expérience, et en ouvrant également les possibilités de services RH à valeur ajoutée pour les collaborateurs.
Cependant, IDC estime qu’en 2024, 80 % des 2 000 plus grandes entreprises mondiales utilisaient déjà l’IA dans leurs processus RH. Selon Florian Cordel, de Cegid, « pendant longtemps, à chaque vague d’innovation numérique, la fonction RH était un peu plus lente que les autres à disposer de nouveaux outils. Mais c’est de moins en moins le cas. Sur le big data, les professionnels RH se positionnent rapidement. Et avec l’avènement de l’IA générative, on a pu constater l’arrivée simultanée de cas d’utilisation en finance, marketing et RH ». La transformation des RH grâce à l’IA est donc en marche, et tout porte à croire que cette fois-ci, les usages RH de l’IA vont s’étendre à d’autres fonctions – notamment le management.
La fonction RH sera également pleinement impactée par les conséquences de l’IA en termes d’organisation et de compétences. En 2023, Théorie de demain déjà identifié, avec l’aide du Chat GPT, cinq métiers RH qui avaient plus de 80% de chances de voir 80% de leurs tâches être remplacées très rapidement par l’IA. La fonction RH est donc elle-même confrontée à une transformation RH majeure – qui ne fera que renforcer sa pertinence sur le sujet.
L’impératif d’un développement collectif et durable
Ces deux premières métatendances se combinent pour accélérer la troisième : celle du développement durable. Cette dernière expression, vieille de plus de 40 ans, n’a jamais été aussi d’actualité. Le retour de la rémunération en tête des préoccupations des salariés et des candidats (voir notamment le 15e édition de l’étude Randstad Employer Brand Research) ne doit pas créer d’illusions : les salariés ont des attentes élevées envers leur entreprise en matière d’engagement RSE.
Selon le Baromètre Beeshake/Agir pour l’instant de la perception de la RSE par les salariés, ces derniers les attendent notamment en termes de conditions de travail (évidemment), mais aussi en termes de recyclage et d’économies d’énergie. En effet, l’engagement RSE des entreprises commence peu à peu à sortir du domaine de la « vertu » pour entrer dans celui du « tout simplement normal ». Les curseurs ont bougé, tout comme le niveau d’exigence.
L’institutionnalisation de la « raison d’être » et le statut d’« entreprise à mission » offrent un cadre de plus en plus prisé pour l’engagement civique des entreprises. A la date de rédaction de cet article, l’observatoire des entreprises à mission en dénombrait 1787, contre 1490 fin 2023. Dans le même -, la directive européenne CSRD crée de nouvelles obligations, tout en donnant à la DRH l’opportunité de démontrer ses nouveaux super-pouvoirs. dans le reporting RH assisté par IA. Face à la quadrature du cercle du développement durable, l’expertise de DRH dans la gestion des contradictions lui confère une valeur nouvelle.
La transformation humaine de l’entreprise et la révolution de l’IA se renforcent mutuellement : l’IA fait des promesses crédibles qui sont longtemps restées vaines en termes de retours d’expérience, d’analyse des données RH, de personnalisation des formations et de performance des collaborateurs. recrutement, fluidité de la gestion administrative… Dans le même -, l’organisation hybride, favorisant l’autonomie des salariés, donne une raison d’être et de nombreux cas d’usage aux outils numériques et IA qui émergent.
A l’heure où les entreprises sont confrontées aux enjeux souvent contradictoires du développement durable, cette nouvelle agilité RH arrive à point nommé. Grâce à elle, en 2025, de nouveaux seuils seront franchis en matière de transformation des entreprises.