sans l’UE, la batterie suisse bricole

CeuxL’électricité en Europe

En l’absence d’accord avec l’UE, Alpiq doit bricoler

Deuxième producteur d’énergie du pays, l’entreprise ouvre ses portes pour souligner l’importance d’un accord avec Bruxelles.

Publié : 17/12/2024, 18h44

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Bref:
  • La Suisse joue un rôle crucial dans le réseau électrique européen.
  • Un accord avec l’UE faciliterait le commerce transfrontalier de l’énergie.
  • Alpiq souligne l’intérêt économique et organisationnel d’un tel accord.
  • Refuser un accord entraînerait une plus grande incertitude pour la Suisse.

Dans la pièce, un petit bip strident retentit. “Ca c’était quoi?” – «Une alarme critique qui nous oblige à adapter nos réglages sur le réseau électrique suisse», répond avec un calme olympien Romain Birbaum, responsable de la gestion réseau et système chez Alpiq. Derrière lui, un employé règle la situation en quelques clics. La scène se reproduit en moyenne tous les quarts d’heure.

Nous sommes au centre de gestion de la production électrique Alpiq à Lausanne. Un quart de la production électrique suisse y est géré vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an. Contre le mur, un écran géant indique le niveau d’eau des différents barrages, la production des centrales hydroélectriques du groupe et celle de son installation nucléaire de Gösgen. Au centre, un nombre oscille au-dessus et au-dessous de zéro : c’est l’écart vivant entre la consommation et la production, et tout rentre dans cette équation : le nombre doit rester le plus stable possible.

La Suisse n’est pas une île

La journée de visite de ce mardi ne doit rien au hasard : Alpiq l’organise pour rappeler l’importance cruciale d’un accord électrique avec l’Union européenne. Ce dernier fait partie du paquet Bilatéral III, dont les négociations sont dans le sprint final. Car c’est un fait : la Suisse n’est pas une île, elle est interconnectée au réseau électrique européen. «C’est la plus grande machine du monde», rappelle Amédée Murisier, directeur de la division Suisse chez Alpiq. Et les lois de la physique sont telles que, pour ne pas s’effondrer, le réseau doit être maintenu à une fréquence de 50 hertz.

Pour la Suisse, la stabilité signifie aussi importer en hiver et exporter en été. Un accord ou non avec l’UE ne changera pas cette réalité. En revanche, ce serait bienvenu de l’huile dans les roues. « Les échanges seraient harmonisés et ils seraient mieux planifiés », poursuit Amédée Murisier. Sans entrer dans des détails trop complexes : dans un marché devenu de plus en plus volatil en raison de l’intermittence des énergies renouvelables, un accord mettrait fin à une situation temporaire et fragile.

Problème commercial

Mais Alpiq ne s’en cache pas, l’intérêt est aussi économique. « Imaginez que mes électrons labellisés qualité hydraulique suisse partent en camion de la sortie des turbines de la Grande Dixence à Sion pour se rendre en Allemagne. Arrivés à la frontière, ils devraient remplir des classeurs de formulaires et attendre six heures pour être dédouanés. Une fois les formalités accomplies, ils perdraient leur label car ils ne sont pas reconnus à l’étranger et en plus je ne pourrais pas choisir le marché sur lequel les vendre », métaphorise encore Amédée Murisier. Et de préciser que ce serait le même problème dans l’autre sens.

Reste la voie de l’autosuffisance énergétique, solution prônée notamment par l’UDC. Mais le deuxième producteur d’électricité du pays, également actif à l’international, a des doutes. « Technologiquement, ce n’est pas totalement exclu. En revanche, ce qui est sûr, c’est que cela coûterait finalement bien plus cher qu’un accord au niveau européen», explique le directeur de la division suisse.

Et ce n’est pas enfoncer une porte ouverte que de le souligner : la stabilité du réseau électrique ne dépend pas seulement des questions d’ensoleillement, de réacteurs ou de barrages. C’est aussi – et surtout – une question d’argent. Au même étage que le centre de production mais séparée par une fenêtre antibuée et verrouillée par un badge spécifique se trouve la salle des marchés. A l’intérieur, le bruit des téléphones, une chaîne d’information en continu délivrant l’actualité économique du jour et un léger brouhaha caractéristique plantent le décor : il s’agit bien d’une salle des marchés.

Sécuriser les positions suisses

Ici, une dizaine de « commerçants » sont aux aguets. Sous leurs yeux, quatre écrans, chacun avec des graphismes qui évoluent entre le rouge et le vert et des lignes clignotantes que seul un initié peut déchiffrer. On détecte cependant des données plus connues : les prévisions de vent et d’ensoleillement pour plusieurs régions européennes.

«Cela a une grande influence sur les prix», explique Morgane Trieu-Cuod, responsable du secteur Assets Trading. “On le voit vraiment avec l’Allemagne depuis son abandon du nucléaire, les prix augmentent quand le vent baisse”, explique-t-elle. Les achats et ventes sur les marchés, effectués directement ou plusieurs années à l’avance sur la base de moyennes annuelles, contribuent à maintenir l’équilibre entre consommation et production.

Il s’agit donc pour Alpiq, en plus d’optimiser ses achats, de couvrir ses positions. Par exemple, si une pénurie se fait sentir, conserver le plus d’eau possible dans ses barrages offre un potentiel énergétique et économique intéressant. C’est tout l’intérêt, pour elle, de l’accord avec l’UE. «La Suisse ne serait plus spectatrice mais actrice de la situation», poursuit-elle.

Fini le « DIY »

Pour nos interlocuteurs, c’est là tout l’enjeu. Alors que la décarbonation et la sortie du nucléaire au profit des énergies renouvelables génèrent des pics de production plus difficiles à prévoir et à absorber, la Suisse doit pouvoir jouer pleinement son rôle : celui de batterie de l’Europe. «Avec ses barrages et ses centres de contrôle comme Nant de Drance, la Suisse est idéalement placée pour offrir cette flexibilité», rappelle le responsable de la gestion du réseau, Romain Birbaum.

Accord ou non, la Suisse jouerait de toute façon ce rôle en raison de sa position. N’est-ce pas de l’alarmisme ? « Ce qu’on peut dire, c’est qu’avec un accord, les choses pourraient aller mieux. Sans cela, cela pourrait être pire. Cela apporterait de la clarté plutôt que de l’incertitude », résume Morgane Trieu-Cuod. Romain Birbaum abonde dans le même sens : « Un accord éviterait plutôt de faire du bricolage. »

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Julien Wicky est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2018. Il est spécialisé dans les enquêtes, notamment en Valais. Il s’intéresse également aux thématiques du territoire, de la montagne, de l’énergie et du climat. Auparavant, il a travaillé à la rédaction du « Nouveaulliste ».Plus d’informations @JulienWicky

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