L’assemblage d’une R5 à l’usine Ampère à Douai. Crédit photo Caradisiac.
Et si l’agitation actuelle autour des futures normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) n’avait aucune raison d’exister ? Et si les constructeurs automobiles n’avaient pas à craindre que le ciel leur tombe sur la tête l’année prochaine ? C’est en tout cas la thèse défendue par deux organisations indépendantes.
D’après ceci groupe de réflexion et cette ONG, l’industrie automobile européenne passera sous les radars en 2025 et ne risque en aucun cas de devoir payer, toutes marques confondues, près de 15 milliards d’amendes fin 2025 comme elle le prétend. Mais de quoi s’agit-il ?
L’ACEA ne veut pas du CAFE
Le 1er janvier, Bruxelles a décidé de mettre en œuvre le nouveau volet de la réduction de C02 programmé depuis 2015. A cette date, les voitures vendues dans l’union ne doivent pas dépasser 81 g d’émissions de C02. Mais attention : il s’agit d’une moyenne par marque. Du coup, ils peuvent continuer à vendre des voitures thermiques plus polluantes à condition de pouvoir les compenser par des électriques ce qui fera baisser la moyenne. Et c’est là que réside le problème.
Depuis des mois, les industriels se plaignent et font le siège de Bruxelles et de leurs collectivités locales pour exiger que la norme CAFE ne soit pas appliquée. L’ACEA, le syndicat européen des industriels, ne lâche rien, et à sa tête Luca de Meo demande à Bruxelles de reporter le hache qui doit être mis en place dans un mois et demi. Si l’Union fait la sourde oreille, on ne peut pas en dire autant de Berlin et de Paris. La chancellerie allemande est sur la ligne de son industrie, plutôt mal en point.
Matignon soutient également l’annulation, puisque Michel Barnier, qui a rencontré hier Ursula van de Leyen, lui a expliqué qu’il était non seulement opposé aux accords du Mercosur, pour calmer les agriculteurs, mais aussi aux fameuses normes automobiles, histoire de calmer Renault en panne. Le Premier ministre relaie ainsi la volonté de son ministre de l’Économie Antoine Armand, qui a également plaidé la cause à Bruxelles la semaine dernière.
Il n’y aurait cependant pas d’incendie dans le trésor des constructeurs européens. Du moins en ce qui concerne les futures amendes. Selon Jean-Philippe Hermine, qui dirige le groupe de réflexion « Mobilités en transition »jeLes marques du vieux continent passeraient facilement la barre des 81 g, « Hormis Volkswagen »comme il l’a précisé aux Échos. L’ONG Transport et Environnement, dans son rapport de septembre, ne dit rien d’autre. Pour l’organisme, « Les constructeurs sont en bonne voie pour atteindre leurs objectifs européens de réduction des émissions de CO2 ».
Mais quels sont les arguments des deux instituts, qui vont à l’encontre de ce que disent les constructeurs et les gouvernements ? La vision de Jean-Philippe Hermine est pleine d’un optimisme débridé. Encore plus optimistes, et c’est rarissime, que les prévisions commerciales de Renault lui-même. Selon le chercheur, 90 000 R5 électriques pourraient être vendues l’année prochaine, ainsi que 20 000 Dacia Spring et 15 000 R4. De quoi atteindre un objectif de 16,6 % d’électrique en gamme, compte tenu des ventes stables de Mégane et Scenic e-tech.
Une prévision de doigt mouillé ? En droit de répondre à ces affirmations, le groupe explique que « que les chiffres cités ne correspondent pas aux prévisions du groupe Renault. » Le losange serait-il excessivement prudent quant au succès de ses multiples nouveaux produits ?
Ouvrir une brèche dans les décisions européennes ?
Mais le think tank français n’est pas le seul à considérer que la norme 2025 sera une ponction sur la trésorerie des marques. L’ONG transports et environnement est sur la même ligne, mais avec un autre argument. Pour l’organisation, les constructeurs se montrent discrets en cette fin d’année, ce qui expliquerait les mauvais chiffres de ventes de véhicules électriques. Ils auraient tendance à retarder les ventes de véhicules électriques pour récolter les bénéfices en termes de réductions d’émissions l’année prochaine, pour les inclure dans les calculs CAFE.
Reste que quels que soient les arguments en cause, on peut se demander, si les constructeurs passent effectivement les nouvelles normes avec brio, pourquoi l’ACEA qui les représente lance-t-elle une telle offensive ? Patrice Pelata, ancien directeur général de Renault, aujourd’hui directeur de Safran, avance une hypothèse. Pour lui, c’est une manière d’ouvrir une brèche. « Ajuster l’échéance de 2025 autoriserait de facto le secteur à ne pas suivre le plan fixé par l’Europe. » Une manière de préparer Bruxelles à la rébellion.