Planète économique | L’Europe craint d’être laissée pour compte par la Chine et les États-Unis

La part de l’Europe dans l’économie mondiale diminue. Le Vieux Continent s’inquiète de ne pas pouvoir suivre le rythme imposé par les Etats-Unis et la Chine.


Publié à 02h29

Mis à jour à 7h00

Patricia Cohen

Le New York Times

“Nous sommes trop petits”, déplore l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta, qui vient de remettre un rapport à l’Union européenne (UE) sur l’avenir du marché unique.

“Et pas très ambitieux”, renchérit Nicolai Tangen, directeur du Fonds souverain norvégien. « Les Américains travaillent plus dur. »

“Les entreprises européennes doivent reprendre confiance en elles”, ajoute Eurochambres, une association de chambres de commerce.

Crise de compétitivité

La crise de compétitivité de l’UE a de nombreuses raisons. Il y a trop de réglementations et ses dirigeants à Bruxelles n’ont pas assez de pouvoirs. Ses marchés financiers sont fragmentés ; ses investissements publics et privés sont trop faibles ; ses entreprises sont trop petites pour rivaliser à l’échelle mondiale.

“Notre organisation, notre processus de décision et notre financement sont conçus pour le monde d’hier, pré-Covid, pré-Ukraine, pré-Gaza et pré-retour des rivalités entre grandes puissances”, déclare Mario Draghi, ancien Premier ministre de Italie et ancien président de la Banque centrale européenne, qui dirige une étude sur la compétitivité de l’Europe.

Elle ne peut plus compter sur une énergie russe abordable, sur des importations chinoises bon marché et sur la protection militaire américaine.

Dans le même temps, Pékin et Washington renforcent par milliards leurs capacités dans les semi-conducteurs, les énergies alternatives et les voitures électriques, bouleversant le libre-échange mondial.

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PHOTO RONNY HARTMANN, ARCHIVES DE L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Porsche vient d’investir 600 millions d’euros dans son usine automobile de Leipzig, dans l’est de l’Allemagne, pour construire des modèles 100 % électriques. Mais l’Europe doit trouver 500 milliards d’euros supplémentaires par an pour rester dans la course aux Américains et aux Chinois.

L’investissement privé est à la traîne. Les grandes entreprises ont investi 60 % de moins en 2022 que leurs rivales américaines et leur croissance a ralenti d’un tiers, selon un rapport du McKinsey Global Institute. Le revenu par habitant est en moyenne 27 % inférieur à celui des États-Unis. La croissance de la productivité est plus lente que dans d’autres grandes économies et l’énergie est beaucoup plus chère.

Le rapport de M. Draghi sera publié d’ici fin juin – après les élections du Parlement européen qui ont eu lieu dimanche – mais il a déjà appelé à un « changement radical » : forte augmentation des dépenses communes, révision du financement et de la réglementation de l’UE et consolidation des petites entreprises.

Il est difficile d’amener 27 pays à agir ensemble, mais le défi s’est accru face aux progrès technologiques rapides, à l’augmentation des conflits internationaux et au recours accru aux politiques nationales pour guider l’activité commerciale. Imaginez que chaque État américain jouisse d’une souveraineté nationale et que Washington ait peu de pouvoirs pour financer des activités comme l’armée.

L’Europe a déjà agi pour rester dans la course. L’année dernière, l’UE a adopté un plan industriel vert pour la transition énergétique. Au printemps, elle propose sa première politique de défense industrielle. Mais ce sont de petits pas comparés aux ressources engagées par les États-Unis et la Chine.

L’Europe “est loin de ses objectifs ambitieux en matière de transition vers les énergies renouvelables, de capacités en technologies propres et d’investissements dans sa chaîne d’approvisionnement”, indique le cabinet d’études Rystad Energy dans une analyse récente.

Trouver 500 milliards d’euros par an

Pour rester dans le peloton, les investissements public-privé dans l’UE doivent augmenter de 500 milliards d’euros (743 milliards de dollars canadiens) par an rien que pour les transitions numérique et verte, estime M. Draghi.

Son rapport et celui de M. Letta – commandé par la Commission européenne, l’organe exécutif de l’UE – devraient guider les décideurs politiques lorsqu’ils se réuniront à l’automne pour élaborer le prochain plan stratégique quinquennal.

De nombreuses personnes en Europe – et ailleurs – préfèrent les marchés ouverts et se méfient de l’intervention gouvernementale. Mais de nombreux hauts fonctionnaires, hommes politiques et chefs d’entreprise européens plaident désormais en faveur d’une action collective plus forte : mettre en commun les fonds publics et créer un marché unique des capitaux. Sans cela, l’Europe ne pourra pas réaliser les investissements nécessaires à sa compétitivité en matière de défense, d’énergie, de supercalculateurs, etc.

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PHOTO GILLES SABRIE, THE NEW YORK TIMES

Une ferme solaire près de Weifang, en Chine. Pékin et Washington investissent des milliards dans les énergies nouvelles.

M. Letta a déclaré avoir eu une expérience directe des déficits concurrentiels de l’Europe lors de sa tournée de six mois dans 65 villes européennes pour préparer son rapport : impossible de voyager « en TGV entre les capitales européennes, une contradiction profonde et emblématique des problèmes du marché unique », dit-il.

Mais les solutions proposées pourraient entrer en conflit avec l’ambiance politique. De nombreux dirigeants et électeurs du continent sont très préoccupés par l’emploi, le niveau de vie et le pouvoir d’achat. Mais ils sont réticents à donner à l’UE davantage de pouvoirs et de moyens financiers. Par ailleurs, voir des marques nationales fusionner avec des rivales est déplaisant, tout comme la disparition de règles administratives familières. L’augmentation de la paperasse est un autre sujet de préoccupation.

Depuis les années 2000, l’Europe a pris du retard dans trois domaines de compétitivité : l’investissement en capital, la recherche et le développement et la productivité. Mais c’est un leader mondial en matière de réduction des émissions, de lutte contre les inégalités et de mobilité sociale, selon McKinsey.

Travailler moins a un coût

Certaines disparités économiques avec les États-Unis sont le résultat de choix. La moitié de l’écart de produit intérieur brut par habitant entre l’Europe et les États-Unis vient du fait que les Européens souhaitent travailler moins d’heures en moyenne au cours de leur vie.

Un choix qui pourrait devenir inabordable pour les Européens s’ils accordent de l’importance à leur niveau de vie, préviennent les experts. Les politiques régissant l’énergie, les marchés et les banques sont trop disparates, estime Simone Tagliapietra, chercheuse à Bruegel, un groupe de réflexion pro-européen basé à Bruxelles.

« Si nous continuons à avoir 27 marchés mal intégrés, nous ne pourrons pas rivaliser avec les Chinois ou les Américains », dit-il.

Cet article a été publié dans le New York Times.

Lire cet article dans sa version originale (en anglais ; abonnement requis)

 
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