Démystifier l’économie | Faut-il protéger les entreprises des acquisitions étrangères ?

Démystifier l’économie | Faut-il protéger les entreprises des acquisitions étrangères ?
Démystifier l’économie | Faut-il protéger les entreprises des acquisitions étrangères ?

Chaque samedi, un de nos journalistes répond, accompagné d’experts, à une de vos questions sur l’économie, les finances, les marchés, etc.


Publié à 1h30

Mis à jour à 8h00

Pourquoi le Québec n’adopte-t-il pas un cadre (comme il en existe partout) visant à empêcher l’acquisition par des étrangers d’entreprises stratégiques ou importantes pour l’économie québécoise ?
«On cesserait de perdre RONA ou Héroux-Devtek ou à tout le moins on pourrait mettre des conditions sur la localisation du siège social et le lieu d’exercice de ses fonctions. De telles mesures ont déjà été prises pour empêcher le contrôle étranger des terres agricoles !

François T. Tremblay

C’est une question qui revient régulièrement, généralement lorsqu’une entreprise québécoise bien connue passe entre les mains d’investisseurs étrangers. Il serait toutefois surprenant que les règles régissant les fusions et acquisitions au Québec – et au Canada – changent, car pour le moment elles favorisent les entreprises locales.

Au fil des années, diverses solutions ont été proposées aux dirigeants des entreprises pour éviter une OPA étrangère. Parmi celles-ci : impliquer les salariés dans l’actionnariat, donner plus de poids aux actionnaires les plus âgés, ou encore adopter la fameuse « pilule empoisonnée ». Cette pratique consiste à autoriser une vente massive d’actions pour éviter une OPA non sollicitée. Sauf que les acquisitions hostiles sont une pratique quelque peu passée de mode, explique Louis Hébert, professeur d’économie et de gestion à HEC Montréal.

« Les acquisitions hostiles, contre la volonté des propriétaires, sont devenues extrêmement rares, tout simplement parce que cela n’en valait pas la peine : cela coûte trop cher d’hériter d’entreprises qui, souvent, ne veulent pas collaborer », dit-il. « Aujourd’hui, les transactions se font de manière plus conviviale. La direction de l’entreprise souhaite généralement vendre. C’était le cas de RONA à l’époque. Est-il raisonnable, voire pertinent, d’empêcher de telles transactions ? »

Bien sûr que oui, nuance le professeur de HEC Montréal, mais seulement pour des secteurs ou des entreprises qui seraient considérés comme stratégiques pour l’économie nationale. Ou si la situation géopolitique rend la transaction risquée. Par exemple, si une entreprise chinoise proposait d’acquérir une importante société minière canadienne…

C’est aussi pourquoi, au niveau fédéral, toute offre d’acquisition d’une entreprise locale par des intérêts étrangers doit respecter les Loi sur Investissement Canadace qui garantira qu’il remplit certaines conditions.

Certaines ressources ou certaines entreprises sont considérées comme stratégiques pour l’économie nationale et peuvent ainsi être protégées des acquisitions étrangères.

Le Canada n’est pas aussi dur envers les intérêts étrangers que des pays plus insulaires, comme le Japon. Cela pose des problèmes, mais cela a aussi du bon, selon Louis Hébert. « Le Japon a très peur des capitaux étrangers et son économie n’est pas très fluide en ce qui concerne la propriété des entreprises », dit-il. « Il y a là-bas beaucoup d’entreprises zombies, pas très efficaces en fait. Il n’est pas toujours efficace de maintenir à tout prix les entreprises, notamment celles en difficulté ou qui tournent en rond. »

Bref, conclut l’expert économique, il est sans doute plus judicieux d’y aller au cas par cas. « Après tout, chaque transaction a une logique unique. »

Boulimie

Quoi qu’il en soit, les entreprises québécoises sont traditionnellement plus gourmandes que leurs rivales étrangères. Au cours des cinq dernières années, ils ont acquis 527 entreprises étrangères, dont 368 ont fait l’objet d’une offre d’achat de la part d’intérêts étrangers, selon le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. À l’échelle canadienne, la tendance est la même : année après année, les entreprises locales sont plus susceptibles de racheter que d’être rachetées par leurs rivales étrangères.

En 2023, 573 entreprises étrangères ont été englouties par une entreprise canadienne, tandis que 531 entreprises étrangères ont acquis une entreprise canadienne, révèlent les chiffres de Statistique Canada. Depuis 2003, près de 12 000 entreprises étrangères ont déménagé sous pavillon canadien, comparativement à environ 8 500 entreprises canadiennes qui ont connu l’inverse.

Comme le soulignait récemment KPMG dans un rapport sur le marché nord-américain des fusions et acquisitions, souvent, une infime partie de ces transactions passe inaperçue, compte tenu de leur valeur parfois disproportionnée.

L’année en cours en témoigne de façon éloquente : Alimentation Couche-Tard tente toujours d’acquérir son rival japonais Seven & i Holdings pour 47 milliards de dollars américains. Entre-temps, on a vu Investissements RPC, qui gère les actifs du Régime de pensions du Canada, s’associer à la firme américaine Blackstone pour acquérir l’opérateur australien de services de télécommunications AirTrunk, en échange d’une somme de 16,1 milliards US.

À côté de ces deux-là, l’acquisition de Héroux-Devtek par la société américaine Platinum Equity, à 1,4 milliard, semble du coup plutôt modeste…

 
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