Le faible soleil d’automne illumine les mélèzes brûlés. Des queues de vaches battaient aux portes des écuries. Un vent léger balance doucement la cime des saules pleureurs. Pas de doute, nous sommes à la campagne. Soudain, de grandes éoliennes blanches apparaissent à l’horizon, au bout de la route.
Dans ce coin de la Montérégie, non loin de la rivière Yamaska, douze éoliennes font partie du décor depuis décembre 2016. « Dans la région, quand on demande aux enfants de dessiner un paysage, ils mettent des éoliennes. Une microbrasserie locale produit même une bière à l’effigie de nos éoliennes», raconte Patrick Péloquin, le maire de Sorel-Tracy, une ville qui est l’un des propriétaires du parc éolien.
En effet, le parc éolien Pierre-De Saurel appartient exclusivement à la MRC du même nom. Cela en fait le seul projet éolien « 100 % communautaire » au Québec. Ailleurs, les acteurs privés font toujours partie de l’équation. « Nous sommes fiers de notre parc », explique le maire, qui se félicite Devoir pour une visite, alors que les projets éoliens sont sur le point de se multiplier dans la province, avec Hydro-Québec qui souhaite ajouter 10 000 mégawatts (MW) d’énergie éolienne à son réseau d’ici 2035.
Le parc éolien Pierre-De Saurel a ses bureaux dans le petit village de Massueville (500 habitants). Yanick Léveillé, le directeur général, allume un grand écran qui fait office de tableau de bord. Les barres vertes indiquent que les douze turbines fonctionnent à plus de 90 % de leur puissance maximale, soit 2,05 MW chacune. Au sommet des mâts, le vent souffle à 35 km/h ce matin.
«Ici, nous sommes dans un régime de vent faible», explique M. Léveillé. De ce fait, nous avons choisi des éoliennes qui démarrent à faible vitesse, mais atteignent leur pleine capacité relativement rapidement. » À la fin de l’année, ces éoliennes auront généré 20 à 30 % de leur capacité nominale, pour un total d’environ 60 gigawattheures, ce qui équivaut aux besoins de 2 500 résidences.
Une cagnotte annuelle de deux millions
En voiture, il ne faut que dix minutes pour rejoindre le parc éolien. Le véhicule de M. Léveillé longe la rivière Yamaska, traverse des champs récemment récoltés et prend une rame. De courts chemins d’accès mènent à chaque éolienne. «On ne pourra jamais déconstruire les critiques sur la perte des terres agricoles», admet M. Léveillé en prenant le volant. Cela dit, l’empreinte de ces moulins du 21e sièclee siècle impressionne par sa petitesse, souligne-t-il.
En effet, l’espace au pied de chaque mât équivaut à celui d’un garage entouré d’un rond-point en gravier. En s’arrêtant au pied d’une des éoliennes, on entend le vent siffler à travers les pales. «C’est le maximum de bruit qu’ils peuvent faire», explique M. Léveillé. Le son est similaire à celui généré dans une maison par un aspirateur utilisé dans la pièce voisine. Il se fond rapidement dans la campagne. Les habitations les plus proches sont à 700 mètres, et elles ne sont pas situées en aval des vents dominants qui pourraient emporter les décibels. Aucun voisin n’exprime son mécontentement à l’égard de l’entreprise, selon le directeur.
Année après année, le parc génère des bénéfices d’environ 2 millions de dollars. Cette cagnotte est redistribuée aux municipalités de la MRC au prorata de leur population. Ils ont la liberté d’utiliser cet argent ou de réduire leurs impôts. Avec ses 36 000 habitants, Sorel-Tracy empoche environ la moitié du butin, soit 1 million de dollars, comparativement à un budget municipal total de 75 millions. Grâce à cette vache à lait, son agence municipale de développement économique est passée de 2 à 14 employés. «Cela fait une énorme différence», a déclaré le maire.
Malgré les bénéfices évidents, de tels projets communautaires pourraient ne pas se reproduire de si tôt ailleurs au Québec, estime M. Péloquin. « Le contexte a complètement changé depuis l’ouverture de notre parc, affirme-t-il. La MRC Pierre-De Saurel bénéficie d’un tarif de rachat qui, grâce à l’indexation, avoisine les 17 cents le kilowattheure. Les approvisionnements post-hydroélectriques d’Hydro-Québec coûtent beaucoup moins cher, en moyenne, à 11 ¢/kWh. Maintenant que l’industrie éolienne est plus mature, la société d’État augmente ses exigences.
Un deuxième projet envisagé
Au bout de l’allée du parc éolien, on retrouve les porcheries de Louis R. Joyal. Son séchoir à grains ronronne bruyamment. « On n’entend plus parler de pollution visuelle, de bruit, de crainte de perte de valeur des propriétés voisines. Tout cela appartient au passé», affirme le producteur, qui cultive du maïs, du soja et du blé biologiques sur ses 800 hectares de terres.
Quatre éoliennes sont implantées chez lui. En vertu de son contrat avec le parc éolien Pierre-De Saurel, il reçoit 2,7 % des revenus bruts qui y sont associés, soit environ 20 000 $ par éolienne et par année. Il s’agit d’une rémunération « assez intéressante », mais marginale par rapport à ses activités agricoles. Quant à la perte de terres arables, elle est négligeable, juge-t-il.
Depuis Massueville, où les vieilles maisons exposent leurs plus belles décorations d’Halloween, on aperçoit les éoliennes tourner au loin, à environ cinq kilomètres. Nous ne pouvons évidemment pas les entendre. « C’est très rare qu’ils soient arrêtés », observe Frédéric Barbeau, qui profite du soleil sur sa galerie. « Je suis plutôt favorable aux éoliennes, je ne pense pas que cela gâche le paysage. La pire nuisance, ce sont les feux rouges la nuit, qui signalent leur présence aux avions. Cela pourrait ressembler un peu à un sapin de Noël », observe-t-il en riant.
« Personnellement, je n’y vois pas de problème », affirme Suzanne Desrosiers, habitante de ce coin du pays depuis 47 ans, surprise lors d’une marche de santé. « Rien n’a changé dans ma vie depuis l’installation des éoliennes, poursuit-elle. Au début, certains étaient réticents, mais ce n’est plus le cas. » Son frère, impliqué dans le projet, lui a fait visiter le site en 2016. Des pieux en acier ont ensuite été enfoncés à 100 mètres dans le sol argileux, pour supporter les futures éoliennes.
Les élus de la MRC Pierre-De Saurel comptent profiter de cette première expérience éolienne pour développer un deuxième projet. Cela prendra une toute autre forme : pour être rentable malgré un tarif de rachat plus faible, le parc devra comprendre des turbines plus puissantes, et plus nombreuses. L’hypothèse de travail actuelle : une vingtaine d’éoliennes, pour 150 MW au total.
Les coûts de construction seront « énormes », prévient le maire. Pour réduire les risques financiers, un promoteur privé, Hydroméga, fait partie de l’aventure. Des discussions sont en cours avec des propriétaires fonciers, un peu plus loin dans la MRC. « Nous voulons être prêts. Dès qu’il y aura un nouvel appel d’offres, nous soumettrons notre proposition», promet le maire Péloquin.