L’énergie sans carbone est-elle sous nos pieds ? En Béarn, des scientifiques sur les traces de l’hydrogène naturel

L’énergie sans carbone est-elle sous nos pieds ? En Béarn, des scientifiques sur les traces de l’hydrogène naturel
L’énergie sans carbone est-elle sous nos pieds ? En Béarn, des scientifiques sur les traces de l’hydrogène naturel

Reporting boursier : l’hydrogène, une très bonne solution ? « Face aux grands problèmes de notre époque, ils ont des solutions. » C’est la thématique qu’explore « Sud Ouest » cette année dans le cadre de sa bourse de reportage. L’hydrogène, souvent présenté comme la solution d’avenir pour des transports moins polluants, tiendra-t-il ses promesses ? Actuellement, 99 % de l’hydrogène est produit à partir de sources fossiles. Mais des pistes vers une énergie décarbonée se lancent. Décryptage.

jeIl fonce sur la route principale, parcourant les mètres, avec une étrange canne suspendue au guidon. En ce mois d’avril, ce n’est pas un pêcheur qui revient de sa partie, aux portes de Sauveterre-de-Béarn (64). Mais le géoscientifique Yannick Bouet collecte des données à la recherche de l’hydrogène naturel qui sommeille sous terre.

La promesse est belle. Celui de mettre la main sur une énergie décarbonée. Car lorsqu’elle est brûlée, la molécule de dihydrogène – H2 – n’émet pas de gaz à effet de serre. Actuellement, l’hydrogène est principalement produit à partir de sources fossiles, ce qui fait pâlir son empreinte carbone. Et si c’était sous nos pieds ?

« L’hydrogène blanc peut changer la donne (1). » Isabelle Moretti utilise une expression chère aux Anglo-Saxons pour partager son enthousiasme. Une fois à la retraite, cet ancien directeur scientifique chez Engie s’est tout concentré sur l’étude du sous-sol. Elle a créé un groupe de recherche à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), tout en étant chercheuse à Sorbonne Université.

En mars, elle nous répondait depuis un pays d’Amérique du Sud, sans vouloir préciser lequel. « Je suis souvent appelé dans des pays où les gens disent : ‘Y en a-t-il ici ?’ Nous avons un détecteur d’hydrogène. Dans le sous-sol, elle provient principalement de l’interaction de l’eau et de la roche. Certaines roches sont riches en fer. Au contact de l’eau, ils s’oxydent et libèrent de l’hydrogène. Il y a aussi la radioactivité naturelle des roches qui va aussi dégrader la molécule d’eau. Nous regardons si ces rochers sont au sol. Ensuite, nous plantons une tige dans le sol pour voir s’il y a des fuites d’hydrogène. »


La zone pour laquelle la société TBH2 dispose d’un permis exclusif de recherche (PER) est située autour de Sauveterre-de-Béarn, de la Soule à Navarrenx.

Jean Masmontet/SO

Un manteau rocheux à proximité

A ce petit jeu, le Béarn s’est montré particulièrement doué. « D’une manière générale, sur les continents, le manteau rocheux où se forme l’hydrogène se situe à 30 kilomètres de profondeur », précise Laure Disent, chef de projet pour la société TBH2. Dans cette partie du Béarn, c’est moins profond : entre huit et dix kilomètres. » Ajoutez à cela qu’elle est particulièrement dotée en fer. « L’eau qui tombe aux alentours s’infiltre naturellement dans les roches, notamment via les failles des Pyrénées, poursuit Laure Disent. Le manteau s’oxyde et l’hydrogène va monter par densité et par failles. » Chez les spécialistes, la zone dans laquelle se forme l’hydrogène s’appelle la cuisine.

« On peut rêver qu’il y ait un système dynamique à certains endroits, avec une recharge continue des réservoirs »

Une fois collecté, l’hydrogène pourra-t-il être suffisamment renouvelé ? « La bonne nouvelle, c’est qu’elle se génère très rapidement », explique Isabelle Moretti. On peut rêver qu’il y ait un système dynamique à certains endroits, avec une recharge continue des réservoirs. » « On ne sait pas si la recharge a lieu dans quelques années, dizaines ou milliers d’années », ajoute Laure Disent.

Le Béarn est la première région de France à être concernée par un permis exclusif de recherche (PER). Elle s’étend sur un carré d’environ 15 kilomètres de côté, réparti sur 43 communes, s’étendant un peu plus loin vers la Soule. C’est la société TBH2 qui a remporté la palme, loin d’être un laissez-passer. «Nous déposons une déclaration ou une demande d’autorisation pour chaque recherche», explique Laure Disent, la chef de projet. Cinq autres permis sont à l’étude en France, dont un autre qui concerne également le Béarn, le projet Grand Rieu.

Échographie du sous-sol

« Avec cette phase, réalisée à vélo, on mesure le champ magnétique », explique Laure Disent. Certaines roches possèdent leur propre champ magnétique, qui va légèrement perturber celui de la Terre. Cela permet de savoir approximativement où se trouvent ces roches. » En mai, l’équipe TBH2 doit réaliser des études sismiques dites « passives » afin d’écouter l’activité terrestre. «Ensuite, nous utiliserons un camion qui délivre une vibration de l’ordre d’une machine à laver», poursuit Laure Disent. Cela donne un signal spécifique, qui est enregistré par différents capteurs. »

« On en avait un peu marre d’entendre les gens dénigrer l’hydrogène. On dit que les quantités sont infimes. »

Le résultat de toutes ces mesures est similaire à une échographie. Le chef de projet estime qu’au moins trois années d’analyses seront nécessaires, « pour savoir si on va faire des forages ou pas. Et si oui, dans quel domaine nous chercherons. » Laure Dissent rassure sur l’avenir. « Si nous forons, ce sera dans une structure géologique importante. Le lieu exact sera décidé avec toutes les parties. » La société TBH2 a déjà organisé plusieurs réunions d’information avec les habitants et les élus.

“C’est monstrueux”

“Pour l’instant, les quantités d’hydrogène qui se trouvent sous terre au niveau mondial ne sont pas connues”, souligne Isabelle Moretti. Nous pouvons faire des estimations en prenant les roches capables de générer de l’hydrogène, en les multipliant par leur épaisseur et leur surface, etc. Les scientifiques ont fait cela ces derniers mois parce que nous en avions un peu marre d’entendre les gens dénigrer l’hydrogène. On dit que les quantités sont infimes. Mais quand on calcule les ressources, c’est monstrueux ! Il y a des milliers d’années de nos besoins en hydrogène. Après, il s’agit de ce qui peut être généré et pas forcément de ce que l’on va trouver et produire. »

« Pour l’instant, les quantités d’hydrogène qui se trouvent sous terre au niveau mondial ne sont pas connues »

L’économie des transports et de l’énergie s’intéresse désormais de près aux recherches sur l’hydrogène blanc. Pierrick Guilloux est responsable de Green Traction chez Alstom, et notamment du développement du train à hydrogène. « L’hydrogène naturel peut être intéressant pour nous, car nous avons besoin d’hydrogène pur à 99,98 %. » Il ne reste plus qu’à trouver le chemin de la cuisine.

(1) Cette expression anglo-saxonne décrit quelque chose qui peut faire une grande différence, rebattre les cartes.

Après cette première partie, nous vous proposons un entretien avec un expert de l’hydrogène et un reportage d’Alstom, qui fabrique le train à hydrogène de demain.

Cinquante nuances d’hydrogène

L’hydrogène est un gaz incolore, mais il s’habille de couleurs lors de ses sorties médiatiques. Voici un inventaire qui est loin d’être exhaustif. Actuellement, 99 % de l’hydrogène mondial est produit à partir de sources fossiles, notamment du gaz. Cette méthode est peu coûteuse mais émet du CO2. Nous parlons d’hydrogène gris. L’autre solution repose sur l’électrolyse, c’est-à-dire le passage de l’électricité dans l’eau. Mais le bilan écologique de cette méthode dépend de l’origine de l’électricité. S’il est renouvelable, l’hydrogène est vert. Il est aussi possible de s’appuyer sur le nucléaire, d’avoir de l’hydrogène jaune. Enfin, on parle d’hydrogène blanc pour désigner l’hydrogène naturel piégé dans le sous-sol.

 
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