Le télétravail est-il en voie de disparition ? Pour le chef d’entreprise François Morinière, président des Entretiens de Valpré, le télétravail a franchi une étape dans la relation de confiance entre salarié et employeur, et dans l’esprit de délégation.
La décision prise par Amazon de mettre fin au télétravail à partir du 1er janvier 2025 pour les 300 000 salariés de l’entreprise a créé une grande surprise dans le monde du travail. Comme dans de nombreux domaines, les GAFAM [acronyme des géants de l’économie numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, Ndlr] sont observées car elles sont souvent précurseurs de tendances. Cette décision illustre le mouvement observé dans de nombreuses entreprises pour inverser l’organisation du travail mise brusquement en place en quelques heures en mars 2020, lors de la première vague de Covid. Rappelons-nous l’exploit qui a été déployé partout dans le monde pour permettre la survie des entreprises dans le contexte sanitaire de l’époque.
Depuis cette période, le télétravail s’est imposé de manière durable dans le paysage des règles du travail, notamment en Europe et aux USA. Comme souvent, c’est chez les Américains que les mesures d’organisation ont été les plus radicales, avec l’amorce d’un retour très partiel au bureau en 2022. Les salariés bénéficiaient d’une nouvelle liberté dans leur organisation personnelle, permettant de mieux concilier obligations familiales, la qualité du travail et conduisent souvent à des déménagements vers des lieux de vie plus agréables et surtout nettement moins chers. Vivre à 100 km de New York permet par exemple de diviser par deux le coût du logement.
La recherche de l’équilibre
Beaucoup ont décrit ce bouleversement complet du rapport au travail, avec un véritable renversement du rapport entre l’entreprise et le salarié, ce dernier décidant nettement davantage des conditions d’exercice de son emploi. Il n’est pas rare que les conditions de télétravail soient désormais incluses dans les trois éléments du choix d’emploi, au même titre que les conditions salariales, le tout motivé par une pénurie de main d’œuvre dans de nombreux secteurs économiques depuis plusieurs années. .
En France, les conditions du télétravail sont réglementées soit par le contrat de travail, soit par un accord d’entreprise, soit par une charte dûment établie, évitant le système à la carte qui est vite devenu un casse-tête ingérable pour les directeurs des ressources humaines. . Une forme d’équilibre s’est instaurée pour contrecarrer les excès du télétravail : impossibilité de réunir des collègues en même temps, difficulté à organiser les horaires de bureau, disparition progressive de la culture de groupe face à un corps social fragmenté et désincarné, difficulté à réellement évaluer le temps de travail des salariés, etc. Le patron d’un grand groupe français a évoqué sa difficulté à distiller l’esprit de corps et l’envie d’appartenir à une filiale étrangère où les salariés ne se réunissaient que quelques fois par mois… Un autre a évoqué son embarras à l’heure actuelle. voyant son entreprise scindée en deux entre cols blancs et cols bleus, ces derniers devant continuer à respecter des horaires de travail en usine très restrictifs.
Construire une amitié professionnelle
On ne remontera jamais complètement le temps et la décision d’Amazon serait désormais très difficile à appliquer en France, notamment dans les grands groupes. Aux managers donc de trouver désormais les sources de motivation, de confiance, et aussi d’être pédagogiques pour inciter les gens à retrouver des espaces de vie commune au bureau, plus intenses, plus toniques, plus inspirants. L’entreprise est devenue l’un des derniers bastions du « vivre ensemble » organisé autour d’un projet commun. C’est le lieu d’enrichissement mutuel, d’épanouissement personnel et d’épanouissement par le travail. Le télétravail a porté la relation de confiance entre salarié et employeur à un nouveau niveau, et dans un esprit de délégation. Cette nouvelle maturité doit être le creuset de la confiance, et celle-ci doit plus que jamais être nourrie par de vrais échanges, en chair et en os, pour construire une véritable amitié professionnelle.