«Je me suis senti libéré, glisse dans un souffle Marianne (le prénom a été modifié)mère et deux fois grand-mère. Jean-Claude m’a remercié pour les fleurs blanches que je dépose chaque jour devant sa photo. Il m’a demandé de donner tous ses vêtements que j’avais encore. Il m’a dit qu’il allait bien. »
Marianne a perdu son mari il y a quelques années. Coincée dans un long chagrin, elle s’est tournée vers un médium pour contacter son mari. Elle dit que cette approche l’a rassurée et lui a permis de reprendre vie. De nombreuses personnes, comme elle, tentent de renouer avec un proche disparu. Selon une étude Ifop réalisée en décembre 2020, un Français sur quatre déclarait avoir déjà eu recours aux services d’un médium.
Le sentiment que tout n’est pas fini
Le père Paul Denizot, prêtre de la communauté Saint-Martin, est le recteur du sanctuaire de Montligeon, dans l’Orne, dédié à la prière pour les défunts. Avec d’autres prêtres et une communauté de sœurs, les religieuses de la Nouvelle Alliance, il a accueilli de nombreuses personnes en deuil. “Quand on perd un proche, on éprouve une forme de résistance face à la mort, il explique. Nous ne pouvons pas croire que tout soit fini. »
Certaines personnes gardent la chambre et les jouets de leur enfant décédé tels quels. D’autres collectent des photos ou des témoignages sur leur proche. Parfois, on se tourne vers un médium ou vers l’écriture automatique, comme Marcelle de Jouvenel (1896-1971) qui publia, dans les années 1950, les réflexions spirituelles d’outre-tombe de son fils Roland, décédé à l’âge de 14 ans. “La grande peur des personnes en deuil est d’oublier le défunt, note le père Denizot. Certaines mères ne peuvent se résoudre à lâcher leur enfant mort. »
Le danger des pratiques occultes
L’Église catholique confesse l’existence d’une vie après la mort. Il interdit cependant toute forme de communication avec le défunt. La Bible est catégorique : « Nous ne trouverons personne chez vous qui (…) interroge les spectres et les esprits, ou consulte les morts » (Dt 18, 10-11). Le verset suivant parle même de« abominations ». Pour quelles raisons ?
L’Église souligne d’abord le danger des pratiques occultes. Rechercher la communication avec les morts, et donc avec le monde invisible, c’est risquer d’ouvrir la porte à des forces que nous ne pouvons contrôler. « Le diable est rusé, assures Paul Denizot. Il saura très bien se faire passer pour votre tante Henriette et vous manipuler en vous racontant des choses qu’elle seule pouvait savoir. »
En mars 2023, le Journal de Montréal rapporte qu’une trentaine de jeunes filles d’une école de la province canadienne de Colombie-Britannique avaient été admises à l’hôpital après une séance de ouija, cette planche divinatoire avec laquelle on cherche à communiquer avec les esprits. Ils souffraient d’évanouissements et de graves crises d’angoisse. Quant au risque d’influence, voire de fraude, d’un médium sur la personne qui le consulte, surtout si cette dernière est fragilisée par un deuil, il est loin d’être négligeable.
Un renoncement douloureux
Pour le Père Laurent Stalla-Bourdillon (1), professeur de théologie au Collège des Bernardins à Paris, le maître mot de notre relation avec nos défunts est la confiance en Dieu : « Le cœur de la révélation biblique est que la vie ne se termine pas avec la mort. Mais les morts vivent en Dieu une vie de relation et de confiance qui nous invite à les rejoindre dans cette relation, en acceptant de les confier à Dieu. »
Confier ses proches à Dieu, accepter de ne compter que sur Lui et croire qu’ils sont mieux avec Lui qu’ici avec les vivants, nécessite un renoncement douloureux aux endeuillés. A Montligeon, dit le Père Paul Denizot, « Nous proposons aux pèlerins de confier leurs défunts à la Vierge et à son Fils, qui les aiment autant qu’eux. La figure maternelle de Marie apporte consolation et réconfort. »
Néanmoins, la séparation reste douloureuse : il s’agit de reconnaître qu’elle est radicale, car les défunts sont entrés dans une vie radicalement différente. « Le risque de communiquer avec les morts, c’est de les maintenir dans une sorte d’au-delà qui est en fait un ici-bas éthéré, et donc dans une relation passée. La relation avec les défunts doit être vécue dans le présent et dans le futur, car ils nous précèdent dans la vie éternelle. assures Paul Denizot.
Sœur Cécile, prieure des moniales de la Nouvelle Alliance, explique l’avance qu’elles ont sur les vivants : « En mourant, notre défunt a vécu un face à face avec Dieu, une expérience spirituelle qu’aucune personne sur terre n’a encore vécue. Ils ont vu leur vie à la lumière de l’amour de Dieu. »
Les relations demeurent
Les défunts se trouvent donc devant les vivants, et non derrière eux. « Mais où sont-ils ? “, demandent à leurs proches. Le Père Stalla-Bourdillon répond : « La foi nous invite à croire qu’ils sont dans la lumière de Dieu et qu’ils avancent vers Lui. Il ne nous est pas demandé de les ramener sur terre, mais de comprendre comment nous pouvons avancer avec eux vers le ciel. » En tournant les personnes endeuillées vers l’avenir, la réponse de l’Église ouvre la porte à l’espérance et fait évoluer leur relation avec leurs défunts.
Sœur Cécile anime des séances pour surmonter le deuil à Montligeon. Elle explique aux personnes qu’elle accueille que le face-à-face avec Dieu vécu dans la mort a forcément changé ses proches. Elle leur raconte l’épisode de l’Évangile où Marie-Madeleine, après la mort de Jésus, retourne au tombeau. Marie-Madeleine rencontre un jardinier qu’elle ne reconnaît pas immédiatement, mais il l’appelle par son nom.
« Toutes les émotions sont là, summarizes Sister Cécile, surtout de la colère, car Jésus est mort et elle n’a pas fini de l’embaumer. Lorsqu’elle le reconnaît, elle se précipite vers lui, comme pour lui poser les mains, mais il lui dit : « Ne me touche pas, ne me tiens pas. Elle devra trouver un autre mode de relation avec lui, qui ne passe plus par l’expérience corporelle. »
Même si la mort nous prive des liens physiques et sensoriels avec nos proches, “Il reste une chose contre laquelle la mort ne peut rien, c’est l’amour”, assure la religieuse en citant saint Paul : “L’amour ne passera jamais” (1 Cor 13:8). Pour l’Église, la relation continue d’évoluer, même au-delà de la mort. « On peut encore, dans la prière, dire merci à nos proches ou leur demander pardon, leur témoigner notre affection. » Certaines relations blessées, certaines réconciliations empêchées, peuvent être réparées. Pour les vivants, un sentiment de culpabilité fréquent («Je n’en ai pas fait assez»), peut s’estomper.
Reformuler l’espérance chrétienne
Au cours du XXe siècle, la question de la vie après la mort a largement disparu de l’espace public, et même du discours de l’Église. Aujourd’hui, elle revient progressivement à la réflexion théologique, débarrassée de la peur oppressante autrefois véhiculée par les images du paradis, du purgatoire et de l’enfer. Le purgatoire n’est plus considéré comme une punition qui écarterait pendant un certain temps un mauvais élève à punir.
“C’est l’état d’une âme, explains Sister Cécilesouffrant de la distance qui la sépare encore du cœur de Dieu, mais qui a déjà choisi, définitivement, de le rejoindre et connaît la miséricorde divine. Pour cela, elle a besoin d’un temps de purification. »
Le Père Denizot ajoute : « Dans les siècles passés, on insistait sur les souffrances rédemptrices du purgatoire, oubliant que le purgatoire est quelque chose de lumineux : c’est l’amour du Christ qui transforme les âmes. » Quant à l’enfer, selon certains théologiens, nier son existence reviendrait à nier à l’homme la liberté d’accepter ou de refuser l’invitation divine à entrer dans cette vie d’amour. Mais qui pourrait dire combien d’âmes y a-t-il ?
Chaque 2 novembre, les chrétiens sont invités à prier pour les défunts. Ils aideront ainsi ceux qui en ont besoin, estime l’Église, à avancer vers la lumière divine. Les vivants peuvent faire quelque chose pour les morts, assure-t-elle.
Au chapitre 48 de l’encyclique Salvi speLe pape Benoît XVI a écrit : « Grâce à l’Eucharistie, la prière et l’aumône, le repos et la fraîcheur peuvent être donnés aux âmes des défunts. (…) Qui ne ressentirait pas le besoin d’adresser à ses proches déjà partis dans l’au-delà un signe de gentillesse, de gratitude ou encore une demande de pardon ? (…) Il n’est jamais trop tard pour toucher le cœur d’autrui. »
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“Réfléchissez bien aux dimensions qu’atteindra un jour notre bonheur”
Extrait de Lettres aux Fraternités, by René Voillaume (volume 3, Cerf, 1966, p. 231-233)
« Comme il est bénéfique, dans la grisaille de nos vies et au milieu des malheurs – les nôtres et ceux des hommes que nous connaissons – de penser avec force aux dimensions qu’atteindra un jour notre bonheur ! (…) Notre bonheur sera multiplié par celui de nos frères. La multitude ne sera plus un monstre anonyme qui écrase, mais une fraternité d’amis. Et l’admirable variété qui fait de chacune de ces myriades d’êtres humains une personne unique, éclairera notre joie et élargira notre ouverture fraternelle, car nous pourrons aimer sans que le nombre d’amis soit l’ennemi d’un amour impatient de se communiquer pleinement. tout le monde. (…) Chacun sera le centre d’admiration, de louange et de tendresse fraternelle de cette immense multitude de cœurs et d’esprits transfigurés par la participation à la glorieuse résurrection de Jésus. »
(1) Auteur de La mort n’est pas ce que vous pensez. La joie d’espérerDesclée de Brouwer, octobre 2024.