Ragnar Rök, André Levissieux ou Dany Koryo n’ont pas sorti leur tenue de gala. Le code vestimentaire est plus décontracté. En ce samedi froid, dans la salle du complexe Bellegrave habituellement réservée aux boxeurs, les hommes des « Fighters vengeance pro wrestling » (FRPW) ont enfilé shorts et baskets pour une séance de trois heures promettant sueur et prises à gogo. Le club de lutte de Pessac, le plus grand de Gironde et même de Nouvelle-Aquitaine, continue d’attirer les amateurs de troisième corde, devenant même une référence à l’échelle nationale.
Il compte aujourd’hui une cinquantaine de followers. « La discipline connaît une nouvelle vague de popularité depuis la fin du Covid. A cause de quoi ? Parce que le catch, c’est cool ! », dit Étienne Heydecker, l’un des membres du bureau. « Nous n’avons pas arrêté de recruter depuis 2021 », ajoute Ben, le président de l’association. On se retrouve avec la génération NT1 (l’ancienne chaîne sur laquelle était diffusée la lutte, NDLR) qui a atteint sa majorité. Et puis j’ai aussi envie de croire que ce qui se passe ici est magique. »
Parce qu’elle est scénarisée et pas toujours extrêmement fine, la lutte en France a longtemps été dénigrée. Les temps changent. À Pessac, les spectacles du FRPW attirent désormais des centaines de personnes, un public considéré comme très animé à travers le pays. Pour son prochain grand spectacle, en juin, le club espère atteindre les 800 spectateurs et pourquoi pas le millier. Celui de 2024, dans la salle Bellegrave, comptait 634 places, soit dix seulement dans une salle à guichets fermés. «Il fut un temps où les gens nous regardaient bizarrement, comme des gars en sous-vêtements se faisant de faux câlins», raconte Étienne. Aujourd’hui, cela rend les gens curieux. Ils viennent nous voir… »
Nous rencontrons Dany, alias Day Koryo, venu au catch il y a quelques mois. Le personnage qu’il s’est créé ? «Je l’ai façonné autour de l’art martial», répond-il. Avec 20 ans de taekwondo, j’avais envie de le diriger dans cet esprit. » C’est toute l’originalité de la discipline qui navigue entre sport et divertissement. Il plonge les spectateurs dans une histoire au long cours avec ses stars, ses rebondissements, ses coups bas et ses combats prédéterminés. Dans cette forme de catch, tout est scénarisé. Il faut juste essayer de l’oublier.
Alignés les uns après les autres pour des exercices sur le ring, les lutteurs affichent des profils variés. Aux côtés de Ben, directeur d’une maison de jeunesse ou d’Étienne, coordinateur en milieu associatif, on retrouve un développeur web, un lycéen, un intermittent ou un agent immobilier. Seul l’âge reste cantonné. Il ne faut pas être trop jeune (15 ans ou plus) ni trop vieux (à 40 ans, ça peut commencer à piquer). Si l’issue des combats est écrite, la lutte n’en reste pas moins physiquement très intense. «J’aime beaucoup aller chez l’ostéopathe après chaque spectacle», déclare avec amusement le président, alias Ben Thundersky.
-Les entraînements, proposés quatre fois par semaine, servent notamment à répéter des enchaînements, certaines prises et les bases : toujours mieux tomber ou réaliser ses roulades. Au club, les deux coachs ont effectué des stages de trois mois aux Etats-Unis, auprès de grands noms de la discipline, pour perfectionner leur art et le transmettre aux autres. « On apprend à faire attention à notre corps et à celui des autres », résume Ben. Il faut aussi chouchouter son cœur, « c’est un sport très cardio », insiste Étienne. « Je n’ai fait que des combats de 8 minutes (qui peuvent s’étendre jusqu’à 25 minutes, NDLR) et j’étais épuisé. C’est entre le badminton et la lutte ! »
Avec des icônes américaines, des gros muscles comme Hulk Hogan ou Dwayne Johnson, le catch génère forcément de la testostérone. Mais il n’attire pas que les gars. Parmi quelques membres féminins, Annia, aux ongles soignés et aux piercings sur le visage, joue avec bonheur son personnage de groupie au sein du club. « La plupart du temps, c’est moi qui crie au bord du ring », confie la jeune femme tombée amoureuse du catch à l’adolescence, vers l’âge de 16-17 ans. « J’ai mis du temps à m’inscrire, je ne l’ai jamais regretté », raconte-t-elle.
Ben, aujourd’hui âgé de 33 ans, a commencé un peu plus tôt. Il y a vingt ans, encore pitchoun, il se retrouvait, zappette à la main, sur la chaîne RTL9. « J’y ai vu deux gars : l’un en sous-vêtements, l’autre masqué. J’étais un peu surpris… se souvient-il. Je me suis pris au jeu, je n’ai jamais arrêté. » Ben Thundersky est devenu président du FRPW en 2020. Il y a quelques semaines, son personnage a pris un virage vers le côté obscur : « En seize ans, je n’avais jamais été méchant, j’avais envie d’essayer… » Son prochain combat, dans le rôle d’un méchant, aura lieu à Pessac, lors d’un nouveau spectacle, le 25 janvier.