Le 22 janvier, au Grand Bleu, vous présenterez un film documentaire sur votre sœur adoptive, de sa dernière année jusqu’à son diplôme d’infirmière. Comment est né ce projet très personnel ?
En 2018, Yona a 16 ans et redoute de retourner auprès de son père, avec qui elle a vécu de 10 à 14 ans, quatre années très difficiles selon elle. Pour la protéger mais aussi pour donner la parole à une réalité partagée par d’autres enfants, j’ai écrit son histoire dans le magazine XXI. Je voulais souligner le manque de familles d’accueil et les décisions parfois hâtives prises par la protection de l’enfance. Quant au film, j’ai vu en Yona et ma mère des personnages enthousiastes et positifs, et en Lionel, plus taciturne, celui qui saura tempérer leur côté impétueux.
Finalement, Yona a pu rester chez « tante » et « oncle », comme elle les appelle. Comment expliquez-vous sa grammaire familiale ?
Yona a quatre parents : ses parents biologiques, ainsi que Maryvonne et Lionel, nos parents communs. Et même si son père porte des « casseroles » et que leurs visions de la famille diffèrent, il reste « papa ». Je me souviens qu’à l’âge de 12 ans, elle lui avait dit qu’il n’était pas une bonne personne, et elle a répondu fermement qu’elle seule pouvait en juger. Elle a raison. Je ne connais pas cet homme, je n’ai aucune légitimité pour le juger. Quant à sa mère, même si elle n’a pas pu s’occuper d’elle à cause de ses problèmes de santé, elle reste « maman », et je trouve ça bouleversant. Mais le grand mérite revient aussi à Maryvonne, ma mère, qui a su entretenir ce lien sans jamais chercher à remplacer la mère de Yona, qu’elle invitait régulièrement chez nous. L’éducatrice de Yona surnomme Maman « la Rolls-Royce des familles d’accueil » !
De l’attelle au fauteuil roulant, à la fin du tournage, la maladie de Charcot a fini par emporter Lionel. Comment avez-vous vécu cette épreuve ?
C’est arrivé très vite. Dans la première partie du film, l’accent est véritablement mis sur Yona, qui est un peu la star de la famille. Puis il y a un glissement, les rôles s’inversent. Yona s’occupe de Lionel, qui est en fauteuil roulant électrique et ne peut plus mettre ses lunettes ni se gratter. Elle ne l’a jamais infantilisée et a même minimisé la situation, allant jusqu’à le faire rire sur son lit d’hôpital. Elle lui a également dit cette phrase incroyable : “Si vous voyez Johnny et Michael là-haut, vous leur dites qu’il nous manque !” » Je pense qu’il a gagné quelques semaines grâce à elle ! Et puis il y a ma mère, qui était exceptionnelle. Elle aurait aimé continuer à prodiguer des soins après 60 ans, mais a arrêté pour soutenir Lionel, qui ne voulait pas d’aide à domicile.
Après 22 ans et seize stages complets, votre mère a mis fin à son travail d’assistante familiale. Quel souvenir gardez-vous d’elle avec les enfants ?
Maman a pratiqué avec beaucoup d’amour et d’intuition. À ses débuts, on lui disait de ne pas s’attacher aux enfants, sous couvert de protéger tout le monde. Sauf que non, ces enfants ont besoin d’amour, et ma mère le sait parfaitement. Elle s’est attachée à chacun d’eux, qu’ils soient arrivés adolescents « plus battus » ou bébés, comme Yona, ils ont tous été traités de la même manière. Même si, dans le cas de Yona, c’est différent : maman est venue la chercher à la maternité de Ploemeur, à trois semaines et un jour, le lien créé n’est pas le même.
-Et concernant le tournage, est-il plus facile de filmer en famille ?
Non, ce n’est pas plus facile. Il faut gérer une équipe de tournage et savoir poser des limites à la production, qui attend parfois de nous d’être intrusifs et de poser des questions intimes à notre famille. Maintenant, je suis très attentif à la dignité de chacun, je veux aussi les préserver, alors là où j’hésitais à demander des choses trop intimes, c’est le directeur de la photographie qui s’est permis de le faire. Comme il aime le dire : « Il vaut mieux demander pardon que demander la permission », ce qui fonctionne plutôt bien, même si Yona, avec qui il s’entendait très bien, n’hésitait pas à le rebuter régulièrement !
Votre tournée bretonne, débutée le 27 novembre, se terminera le 8 février après douze dates. Qu’espérez-vous pour la suite ?
Avant la diffusion sur France 3, prévue au printemps, j’aimerais beaucoup que les politiques prennent la main sur ce film, car la protection des enfants est de leur responsabilité. Il faut vraiment que les départements puissent recruter davantage de familles d’accueil et que ce beau métier soit valorisé. Certes, il existe déjà de nombreuses productions sur la protection de l’enfance mais elles font souvent polémique, et à juste titre, car la situation en France est dramatique. Mais j’avais envie de faire un film très positif, qui interroge le mot famille et le lien d’attachement inévitable qui se noue avec les familles d’accueil.
Pratique
Le documentaire « Trois semaines et un jour » sera projeté au cinéma Le Grand Bleu, à Carhaix, mercredi 22 janvier, à 20 heures. Il sera suivi d’une rencontre avec la réalisatrice, Laëtitia Gaudin-Le Puil. Entrée au chapeau, les bénéfices seront reversés à une association d’aide à la recherche sur la maladie de Charcot.