« Décrire le monde est déjà une forme d’engagement. » Rencontre avec Olivier Weber, co-président du festival Biographie à Nîmes

« Décrire le monde est déjà une forme d’engagement. » Rencontre avec Olivier Weber, co-président du festival Biographie à Nîmes
« Décrire le monde est déjà une forme d’engagement. » Rencontre avec Olivier Weber, co-président du festival Biographie à Nîmes

Le festival de la biographie à Nîmes accueille l’écrivain et grand reporter Olivier Weber du vendredi 24 janvier au dimanche 26 janvier, pour un week-end littéraire sous le signe de l’aventure.

Comment avez-vous reçu l’offre d’être co-présidente du festival de Biographie à Nîmes ?

C’est une belle invitation. Je suis déjà venu ici. Cette année, le thème principal est celui des écrivains d’aventures. Je suis ravi de partager cela avec Jean-Christophe Rufin, que je connais de longue date. C’est un thème génial car il rassemble plein de choses, la littérature de voyage, la poésie, les grands reportages chers à Albert Londres ou Romain Gary…

Vous publiez un livre consacré à Gérard de Nerval. On vous imagine plutôt en lecteur d’Hemingway ou de Kessel…

De plus, la même année, il y a le Dictionnaire Adventure Lovers… Ce sont les deux faces du même auteur. Gérard de Nerval a pratiqué la poésie du dedans, romantique, intime, intérieure et extérieure, avec le voyage en Orient

“J’essaie d’avoir toujours de la poésie avec moi”

Pour moi, cela fait vraiment partie de ma vie. Comme le disait Nicolas Bouvier, quand on est écrivain voyageur, on voyage six mois par an, le reste du temps, on reste enfermé à écrire. Nerval me porte depuis l’enfance. Cela m’a permis de pouvoir repartir avec “l’élan errant” à chaque fois.

Vous dites que la poésie est votre première expérience du vertige…

Je suis fasciné par la poésie. Elle a une capacité à réinventer le monde, tout comme Rimbaud, le poète clairvoyant qui prônait lui aussi le « dérèglement de tous les sens ». Quand je suis au fond des montagnes, en Asie centrale, dans l’Himalaya ou en Afghanistan, j’essaie de toujours avoir de la poésie avec moi.

Et puis il y a l’inventivité du langage. Qu’est-ce que la réalité ? Il y a toujours une interprétation. La poésie nous pousse dans une impasse.

On sent que vous avez de la tendresse pour Nerval…

Beaucoup de respect. Il était très novateur, il a inspiré Rimbaud, Proust, les surréalistes. C’est énorme. Il est un peu provocateur, il a promené un homard dans les jardins du Palais Royal avec un ruban bleu. Et en même temps il est très sensible, discret, sympathique. Il avait une vision très chaleureuse des gens et du monde qui l’entourait. On le voit lorsqu’il se rend au Liban ou en Egypte ottomane. Les portraits qu’il réalise sont très actuels et très humanistes. J’aime la dimension de l’aventure humaine dans la littérature, la découverte des autres, l’exploration du monde.

Pourquoi écrivons-nous ? Transmettre. Je remercie ceux qui ont mis entre mes mains Nerval, Goethe, Cervantès, Jack London, Conrad. C’étaient des grands frères, des compagnons de voyage, de la famille.

A l’époque de Nerval, le monde était bien moins connu. L’Orient a commencé à Vienne ! Est-ce que ce moment vous manque ?

Il faut vivre avec son temps. Au temps de Nerval, on connaissait déjà l’Orient, il y avait déjà des histoires. Les romantiques ont fait le Grand Tour. Le monde est inconnu quand on est jeune. Je les invite à découvrir les routes de la soie, à aller en Amérique du Sud… Ce que je regrette, c’est le tourisme de masse. 94% des touristes visitent 2% du monde. Sortons des sentiers battus !

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Dans la préface de votre dictionnaire, vous dites que vous ne vous considérez pas comme un aventurier…

Je suis un écrivain passionné d’aventure. Je reste aussi un grand reporter. Je reviens du Caucase et je retourne en Ukraine, puis j’irai au Kirghizistan. Je parcours le monde, avec beaucoup de mélancolie et puis, il y a la littérature. Lorsque je rencontre certains personnages dans la jungle amazonienne, des résistants en Afghanistan, des humanitaires en Afrique, des marins en mer Rouge, je me demande si je suis dans un rêve ou dans la réalité. Je veux les mettre dans mes romans.

“Quand j’ai réalisé un rêve, je repars”

Il y a une phrase de Nerval qui me fascine et que je continue d’appliquer. Il dit «Je voyage pour vérifier mes rêves». Je vis beaucoup dans cette mélancolie créatrice, qui n’est pas de la tristesse. Le poète Yves Bonnefoy a parlé de “mélancolie d’espoir”. Quand j’ai réalisé un rêve, je repars.

Pour vous, l’aventure ne va pas sans engagement…

Décrire le monde, aller sur des zones de guerre, même pour des romans, est déjà une forme d’engagement. Il ne s’agit pas d’activisme, mais d’une forme de dénonciation. Je veux montrer ce que vit l’espèce humaine, ce qu’elle espère, ce dont elle est capable dans le meilleur et souvent dans le pire. Malgré tout, comme le dit le moine bouddhiste Mathieu Ricard, il y a des millions d’actes de bonté chaque jour. En ce moment, je travaille beaucoup avec des femmes afghanes sur un recueil de poésie, qui est aussi une forme d’engagement.

Vous avez rencontré Nicolas Bouvier, un mythe de la littérature d’aventure. Quel souvenir gardez-vous de lui ?

Je revenais d’un voyage lointain, je fais escale à Singapour. Un ami diplomate m’a invité chez lui, sur une colline avec un jardin d’où l’on pouvait voir tout le port. Nous étions dix et au bout de la table, il y avait Nicolas Bouvier. J’étais très jeune, un peu paralysé. J’écrivais La Route de la Drogue, je revenais de la brousse en Birmanie, c’était très dangereux. Il était extrêmement gentil, nous parlions du Japon, de l’Afghanistan… Il s’intéressait beaucoup à moi. Il était très humain, généreux.

Que signifie l’incipit de Tropiques tristes Claude Lévi-Strauss, “Je déteste les voyages et les explorateurs” ?

C’est un livre assez déroutant, un récit de voyage très personnel. C’est un peu provocateur, mais Lévi-Strauss passera les 400 prochaines pages à dire le contraire.

Quel livre recommanderiez-vous pour partir à l’aventure ?

J’en dirai deux. Utilisation du monde de Nicolas Bouvier est une merveille de précision, d’humanisme, d’inventivité, d’émotion. Après un voyage en voiture de la Suisse à Kaboul, il dit qu’on se croit au bout du monde, alors qu’on est au centre du monde.

Et puis Martin Édenpar Jack Londres. C’est à la fois un livre de voyage, un livre torturé, très mélancolique. Jack London est mort à 40 ans, il a écrit 40 livres. Il est très vif, très sensible aussi. Dans ce livre, il raconte sa vie d’aventurier. Il voulait devenir écrivain, mais il voulait le faire en voyageant.

Meeting Friday January 24, 4:30 p.m. Bernadette-Lafont Theater, place de la Calade, Nîmes. FREE ENTRANCE. 04 66 76 70 01.
 
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