Dans sa lettre adressée aux victimes de l’abbé Pierre, le mouvement Emmaüs promet un soutien constant. « Nous confirmons notre présence à vos côtés », pouvons-nous lire. Cet engagement répond à de nouveaux témoignages, rendus publics lundi 13 janvier et venus s’ajouter aux premières révélations de violences sexuelles attribuées au prêtre et fondateur d’Emmaüs, en juillet puis en septembre 2024.
Dans le détail, le dernier rapport du cabinet spécialisé Egaé, commandé par Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé-Pierre, révèle neuf autres incidents de violences sexuelles, dont un viol sur mineur et un cas d’inceste, mettant en lumière 33 nombre de victimes dont les déclarations ont pu être corroborées.
À ce jour, aucune procédure judiciaire n’a été lancée pour répondre à ces témoignages. Contacté par franceinfo mardi, le parquet de Paris a répondu qu’il n’avait pas été informé des différents faits imputés à l’abbé Pierre, ce qui signifie qu’aucune plainte n’a été déposée. LLe religieux étant mort, leLes poursuites pénales contre lui sont également irrecevables, car elles ont été éteintes. Les faits sont également, pour la plupart, prescrits. Tandis que pplusieurs alertes semblent avoir été ignorées au sein des structures fondées par l’abbé Pierre, les poursuites pour « non-dénonciation » restent possibles, mais s’annoncent complexes.
Les victimes peuvent toutefois engager une action en responsabilité civile, destinée à réparer les dommages. « Des actions contre sa succession et contre les structures pour lesquelles il a travaillé sont possibles »Benjamin Moron-Puech, professeur de droit, l’expliquait à franceinfo en septembre. Selon lui, les raisons invoquées pourraient être « faute pour négligence due à l’inaction » et le « responsabilité du fait d’autrui ».
Au sein d’Emmaüs France, la possibilité d’indemniser les victimes, parfois lourdement traumatisées et marquées par des années de silence, est envisagée. « Depuis 70 ans, nous disons que nous sommes les héritiers [de l’abbé Pierre]. En tant qu’héritiers, nous avons pu bénéficier de tout ce que l’icône nous a apporté. Il n’y a aucune raison pour que nous n’assumions pas également les responsabilités de cette personne.»insiste son délégué général, Tarek Daher, dans les colonnes de parisien. Pour ce faire, l’association envisage de solliciter de la Commission de reconnaissance et de réparation (CRR), explique-t-il.
Née sous l’impulsion de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) après la publication du rapport choc de la commission Sauvé sur la pédocriminalité dans l’Église, la CRR traite des violences sexuelles commises par des membres de congrégations religieuses sur des victimes, tant majeurs que mineurs au moment des faits. L’Autorité nationale indépendante pour la reconnaissance et la réparation (Inirr), créée par la Conférence des évêques de France, a également déclaré : “prêt”en septembre dernier, prendre en charge les victimes mineures de l’abbé Pierre au moment des faits, conformément à sa lettre de mission, avec une indemnisation pouvant aller jusqu’à 60 000 euros.
Les structures héritées de l’abbé Pierre n’éviteront pas non plus un examen de conscience. La fondation a annoncé la création, à partir de février, deune commission d’étude sur les violences commises par l’ancienne personnalité préférée des Français. Elle sera présidée par la sociologue Céline Béraud, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), dans le cadre d’une convention de recherche avec l’établissement. L’objectif sera notamment «comprendre et analyser les mécanismes qui ont permis produire du silence pendant plusieurs décennies autour de ces faits très graves et ont conduit à ce que le prêtre ne soit ni condamné intérieurement par l’Église ni dénoncé à la justice civile », expliquait la chercheuse, citée par Emmaüs, lors de sa nomination en octobre.
Parallèlement, la fondation Abbé-Pierre s’efforce d’effacer les hommages rendus au curé dans ses différentes structures et annonce avoir lancé étapes pour changer votre nom. “C’est une procédure judiciaire lourde” et long à mettre en place, prévient cependant la direction. Le lieu de mémoire dédié à l’abbé Pierre à Esteville (Seine-Maritime) a définitivement fermé ses portes, et les neuf salariés qui composaient la structure ont été licenciés par un courrier reçu fin décembre, rapporte « ici Normandie ».
La collecte des témoignages des victimes de l’abbé Pierre devra également se poursuivre dans les prochains mois. Lors de la publication de son dernier rapport lundi, le cabinet Egaé, spécialisé dans la prévention des violences, notamment sexistes et sexuelles, a annoncé que sa mission prendrait fin le 31 janvier.. “Un nouveau système prendra le relais, avec une page sur les trois sites de nos organismes et professionnels pour accueillir cette parole”a promis le délégué général d’Emmaüs France, Tarek Daher. “Il sera probablement géré par France Victimes, qui travaille déjà avec l’Eglise”, il a continué.
Contactée, la fédération des associations France Victimes confirme à franceinfo que des discussions sont en cours sur la question. La messagerie téléphonique et l’adresse email mises en place depuis juillet par le cabinet Egaé pour écouter les victimes de l’abbé Pierre ne devraient pas totalement disparaître, mais orienteront vers la nouvelle structure, selon les informations de franceinfo.
La tâche s’annonce immense pour les successeurs du cabinet Egaé. Dans un communiqué publié lundi, la Conférence des évêques de France dit s’attendre, après “cette troisième série de témoignages”découvrant de nombreuses autres victimes. Dans son rapport final, Egaé souligne pour sa part que les récits recueillis en six mois «ne permettent absolument pas de dresser un inventaire exhaustif du comportement de l’abbé Pierre.»