Créer malgré tout
Il aurait pu adapter son œuvre pour se conformer aux exigences de la censure, mais c’est un sacrifice que Kornél Mundruczó refuse. « Je ne peux pas me soumettre à ce type de contrôle. L’art doit être créé avec honnêteté et innocence. L’autocensure me détruirait. » Pour Mundruczó, travailler en Hongrie est donc devenu quasiment impossible. « L’art critique n’y existe plus. La liberté de création y est largement limitée. Il ne s’agit pas nécessairement d’une censure directe des œuvres d’art, mais d’une absence totale de financement qui conduit au même résultat. » Sans renier ses origines et son histoire, elle doit sans cesse redoubler d’efforts pour trouver d’autres sources de financement, notamment à l’étranger. C’est le cas de Parallax, sa dernière pièce, créée en coproduction avec le soutien d’une dizaine d’institutions suisses, françaises, italiennes, grecques et allemandes. « Devoir créer dans ces conditions est particulièrement difficile. Tout demande beaucoup plus d’efforts et de travail. Avoir réussi à réaliser Parallax est pour moi une grande fierté. Malgré le manque de soutien de la Hongrie, cette pièce reste solidement ancrée dans le contexte historique hongrois. Je me bats pour conserver mes racines et mon identité. » Vivant à Berlin depuis cinq ans, il avoue ne plus travailler dans son pays d’origine. « J’ai toujours une maison à Budapest, mais quand j’y retourne c’est avant tout pour le plaisir, pour retrouver mes amis et ma famille. »
Lâchez l’armure
Le travail de Kornél Mundruczó a souvent été décrit comme provocateur ou politiquement engagé, mais il ne croit pas à l’art politique. « Je pense que les travaux militants peuvent être contre-productifs, qu’ils ne parviennent pas à changer le monde à long terme. Mon travail est essentiel. Il aborde de front les réflexions sur l’identité et le contexte social. Mais j’essaie de le faire avec beaucoup de sensibilité, de sympathiser avec les personnages que je représente. Le pouvoir et la politique sont dépourvus d’empathie, je pense donc que c’est un moyen efficace de donner de la force à mon travail. »
Concernant la provocation, l’artiste y voit quelque chose d’essentiel. « Une bonne œuvre est toujours provocante – c’est également le cas de l’opéra Salomé. Il s’agit de percer l’âme et le cœur du public. En sacrifiant une partie de lui-même, l’artiste peut atteindre le spectateur et lui faire perdre son armure. C’est cette mise à nu qui permet d’aborder l’art avec une certaine innocence, une certaine pureté et de sortir de cette expérience complètement transformé. »
Une attitude qu’il adopte dans toutes ses œuvres, que ce soit au théâtre, au cinéma ou à l’opéra. « Pendant longtemps, l’opéra a été traité de manière conservatrice. Aujourd’hui, grâce à des institutions comme le Grand Théâtre de Genève, ce genre connaît une pleine renaissance. Une œuvre comme Salomé est remplie de réflexions sur le pouvoir, l’absurdité et la violence du crime, les contradictions entre richesse et pauvreté, justice et injustice, entre ce qui est dit et ce qui est réduit au silence. L’opéra est un art total qui permet de faire passer de nombreux messages. »
Passionné d’art, Samuel Golly a fait de sa curiosité son métier. En collaborant avec plusieurs festivals, il participe à la production d’événements tels que La Bâtie ou Black Movie. Parallèlement, il écrit régulièrement dans la presse francophone, notamment pour Le courrier ou le Tribune de Genève.
Salomé at the Grand Théâtre de Genève
Du 22 janvier au 2 février 2025
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