Terminez en beauté. Pour mettre fin à son mandat d’administrateur, Éric Ruf rassemble la troupe du Français et fait du « Soulier de satin » de Paul Claudel un festival de théâtre qui célèbre un art dramatique où l’impossible est à jamais interdit.
Un espace nu pour un moment de calme. Ici, c’est brossé à grands traits La chaussure en satin de Claudel proposé par Éric Ruf dans un adieu majestueux à ses dix années comme administrateur de la Comédie-Française. Avec lui, la troupe s’enrichit, se renouvelle, se diversifie et rassemble des talents incandescents. C’est à l’un des derniers comédiens engagés, Baptiste Chabauty, qu’incombe le rôle de Don Rodrigue, le personnage autofictionnel de Paul Claudel, fringant conquistador à 15 heures au début du spectacle, vieillard amputé et vendu comme esclave, à 11 heures : 30h à la fin de la représentation.
Parmi les nombreuses raisons qui ont motivé le choix d’Éric Ruf de réaliser cette pièce hors du commun, on en retiendra une qui associe la démesure poétique au rappel d’un geste de résistance politique. C’est ici, dans l’enceinte de la Comédie-Française, que La chaussure en satinréalisé par Jean-Louis Barrault, en 1943, en pleine Occupation. C’est là qu’Antoine Vitez a voulu le reprendre, lorsqu’il en a été nommé administrateur, après l’avoir créé au festival d’Avignon en 1987. Il n’en a pas eu le temps. Depuis, seul Olivier Py s’est aventuré en 2003 et 2009 à réaliser la version intégrale de la pièce.
Une épopée ambitieuse
Les coupes drastiques opérées dans le budget culturel ne sont-elles pas favorables à ces grandes formes extravagantes qui mettent le monde sur un plateau ? “La Comédie-Française traversant des difficultés budgétaires, le réflexe serait de réduire l’ambition artistique ; au contraire, je pense qu’il est nécessaire, dans ces cas-là, de l’élargir davantage.”, retorts Éric Ruf.
Or, dans ce cas précis, le fond répond à la forme. Après avoir déambulé sur l’immense scène nue de la salle Richelieu, les comédiens se glissent au milieu du public, l’orchestre, le long d’une passerelle qui enjambe le quatrième mur et multiplie les entrées et sorties des personnages, le Annonceur campé joyeusement par Serge Bagdassarian ouvre les festivités : «Tout doit paraître provisoire, en cours, bâclé, incohérent, improvisé dans l’enthousiasme ! (…) L’ordre est le plaisir de la raison : mais le désordre est le plaisir de l’imagination.» Nous voici embarqués dans l’épopée amoureuse entre Don Rodrigue et Dona Prouhèze (Marina Hands) qui, bien qu’impossible, n’en consume pas moins leur être pendant trois décennies que Paul Claudel découpe et éparpille en quatre jours au temps des conquistadors. Preuve qu’il est plus facile de conquérir des terres que des cœurs et que la violence parvient plus vite à ses fins que l’intégrité d’une âme tiraillée entre les exigences de la foi et l’ouragan de la passion.
Le carrefour de tous les théâtres
Résumer l’intrigue est non seulement impossible mais futile ; il suffit de savoir que parcourir le monde sur une scène de théâtre dans une cavalcade échevelée d’amours contrariés, d’ambitions nobles ou vengeresses, tous également soumis au cours indomptable du temps, revient pour Éric Ruf à faire de la Salle Richelieu le carrefour de tous. théâtres : vaudeville, tragédie, farce, comédie, sans oublier le ballet-théâtre cher à Molière grâce à la présence de musiciens aux côtés de la troupe dans une forme olympique, rien ne manque à la fête.
La chaussure en satinby Paul Claudel, stage version, scenography and direction by Eric Ruf. Until April 13, Salle Richelieu, Comédie-Française.