Les fictions d’espionnage sont devenues des outils de communication pour de véritables services secrets, comme ici où le MI5 a confié le rôle de narrateur de son clip de Noël à l’interprète de Jackson Lamb. Bienvenue dans l’ère du paradoxe et des frontières poreuses.
Par Caroline Veunac
Publié le 27 décembre 2024 à 16h41
EEn matière d’espionnage, ce monde à la fois secret et surreprésenté dans les séries et au cinéma, il est parfois difficile de savoir où finit la fiction et où commence la réalité. La preuve avec l’étrange carte de vœux postée sur sa page Instagram par le MI5, l’agence de renseignement intérieur britannique.
Sur des images façon comité d’entreprise, illustrant l’action de ses responsables pendant les vacances, intervient la voix de Gary Oldman, alias Jackson Lamb dans Chevaux lents, la série d’espionnage la plus acclamée du moment. Adoptant le timbre du vieux narrateur bourru de son personnage, enrobé d’harmonies festives, l’acteur récite une version revisitée du poème de Noël. C’était la veille de Noël : « Pendant que les bonnes gens, chez elles, emballent les derniers cadeaux ; les équipes des bords de la Tamise, sans répit, se relaient au travail. »
Traduction : vous pouvez vous réveiller paisiblement, le MI5 monte la garde. Réalisé en partenariat avec Apple TV+, ce clip confirme que les séries, succès planétaire, sont devenues un outil de communication pour les services secrets. Célébrés dans le monde entier, les Français Le Bureau des Légendes (ne pas refaire L’Agence qui passionne actuellement le public américain) a ouvert la brèche il y a dix ans. En décrivant avec réalisme les coulisses de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), tout en suscitant un soutien affectif via des héros romantiques, la série d’Éric Rochant a offert à cette administration l’occasion de résoudre un paradoxe : comment s’ouvrir au public quand le secret est la règle principe de son existence ? Dans un contexte où la menace terroriste accroît les besoins de recrutement, la DGSE collabore sur sa propre représentation et en récolte les fruits : deux ans après le lancement du Bureau des légendes, le nombre de candidats au concours d’attaché a bondi de 60 %.
Fiction ou réalité, où est la limite ?
La vidéo du MI5 témoigne à sa manière de cette nouvelle médiatisation des activités de renseignement. Cette fois, il ne s’agit pas de recruter mais de rassurer. Qu’on y réfléchisse ou qu’on l’étouffe, la période des fêtes est associée à un risque terroriste accru, comme l’a tragiquement rappelé cette année l’attentat à la voiture bélier sur le marché de Noël de Magdebourg. En termes de psychologie des foules, utiliser la voix réconfortante d’un personnage de fiction populaire permet de tenir le danger à distance tout en vantant les mérites de ceux qui travaillent à le prévenir.
Les séries d’espionnage contemporaines sont à l’image de leurs héros : elles jouent un double jeu, levant le voile sur certaines réalités géopolitiques, tout en servant d’amortisseur à l’angoisse que suscitent ces réalités. Dans le cas du récent Colombes noires (sur Netflix), c’est l’évasion qui l’emporte, repoussant au loin les résonances avec le monde réel. L’Agence, le remake américain de Bureau des légendes, se rapproche du feu de l’actualité en évoquant la guerre en Ukraine ou le nucléaire iranien, tout en assurant que la personnalité complexe du héros incarné par Michael Fassbender fait pencher la balance vers la fiction.
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Chevaux lents, qui s’invite au service d’espions déclassifiés, peut être vu comme un portrait de l’Angleterre en récession post-Brexit. Avec son esthétique bureaucratique, le clip du MI5 revient astucieusement à son actif l’image désidéalisée que donne la série des services secrets, créant un sentiment de réalisme et de proximité. Immédiatement contrasté par l’effet berceuse du conte de Noël raconté par Jackson Lamb.