Chloé Sainte-Marie | Décolonisation poétique

Deux ans après la sortie de Silence mauditun livre-disque où résonnent 14 langues, dont plusieurs idiomes autochtones des trois Amériques, Chloé Sainte-Marie poursuit son voyage à travers notre vaste continent. Rencontrez celle qui revient sur la scène de l’intime salle Claude-Léveillée de la Place des vendredi et samedi.

Elle a l’âme d’une poète et la détermination d’une coureuse de fond. Chloé Sainte-Marie mène depuis 25 ans une quête pas comme les autres : nommer l’Amérique dans la langue des locaux. Elle chantait déjà en innu avant le début du nouveau millénaire, bien avant que l’idée de s’inspirer de la culture d’autrui ne devienne suspecte. Une telle audace serait difficilement imaginable aujourd’hui.

Silence mauditun magnifique livre-disque publié en 2022, pousse plus loin son exploration des racines de ce continent. Cette volonté de raconter poétiquement l’histoire qu’elle a affirmée avec l’apprivoisement des Innus et de leur territoire s’étend désormais aux trois Amériques. Elle et ses collaborateurs chantent dans une dizaine de langues, dont le quechua, le guarani et le maya, qui sont celles des peuples indigènes du Pérou, du Brésil et du Mexique.

Chloé Sainte-Marie a d’abord déclaré que cette traversée du continent lui semblait la « suite naturelle » des choses. Puis, elle change d’avis. « Ce qui m’y a conduite, c’est quand même Jean Morisset », explique-t-elle en parlant de son défunt ami, poète et géographe, et surtout de l’inspiration de sa vision d’une Amérique métissée, très tôt détachée de ses racines européennes.

Cet album est une manière de revendiquer ma créolité. Je suis un créole des neiges.

Chloé Sainte-Marie

L’interprète revendique une langue impure, non pas française ni même québécoise, mais « canadienne ». «Je parle de travers, je parle comme Kerouac», dit-elle sur un ton évident. Chloé Sainte-Marie cherche d’abord à mettre en lumière ce qui l’enracine. Plutôt que de regarder le monde d’ouest en est, c’est-à-dire du Québec vers l’Europe, en particulier la , elle le regarde désormais selon un axe nord-sud.

Appropriation pour un meilleur partage

Cette interprète hors du commun embrasse la complexité d’une identité colonisatrice-colonisée, qu’elle porte et transcende en ouvrant les bras et en offrant sa voix aux différents peuples avec lesquels nous partageons ce vaste territoire. « C’est en nous appropriant les chants et les rêves des peuples autochtones qui vivent autour de nous que nous pourrons faire un pas en avant », estime-t-elle.

Elle dit « approprié », une expression détestée, un geste qui a envoyé certains artistes au bûcher des bonnes intentions. Elle connaît le poids de ce mot, elle l’accepte. Mais il faut aussi avoir l’honnêteté de l’entendre tel qu’elle le prononce : le verbe « s’approprier » entre dans sa bouche et dans son art avec une curiosité sincère et une envie de partager.

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PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La chanteuse Chloé Sainte-Marie

Et à ceux qui voudraient lui reprocher de mettre en scène des mots et des histoires qui ne sont pas les siennes, la poète innue Joséphine Bacon a déjà répondu que c’est elle qui a demandé à Chloé Sainte-Marie de chanter sa langue. “Bibitte était comme ma mère adoptive, elle m’a tout appris”, raconte la chanteuse.

Elle a rencontré Joséphine Bacon (dite « Bibitte ») il y a plusieurs décennies dans l’entourage de Gilles Carle, l’éminent cinéaste dont elle a partagé la vie jusqu’à sa mort en 2009. « Avec elle, j’ai parcouru, le territoire », insiste-t-elle. Ça tombe bien, Chloé Sainte-Marie ne tient pas en place. Marcher, selon elle, marque autant qu’il laisse des empreintes. « J’ai appris plus par la plante de mes pieds que par la tête », dit-elle.

Parlez-en

Avant de devenir la voix de nombreux poètes, Chloé Sainte-Marie a grandi dans une grande famille de la région de Drummondville qui avait la particularité d’être de confession protestante. Elle parlait souvent de la difficulté de son éducation religieuse rigoureuse et de la libération de sa rencontre avec Gilles Carle. Dès sa jeunesse, elle reste aussi marquée par la beauté des chants religieux et le charisme de certains pasteurs.

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PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE ARCHIVES

Chloé Sainte-Marie on stage, in 2015

«Maintenant, c’est moi qui parle», dit-elle fièrement. Il faut l’avoir vue sur scène pour comprendre son magnétisme très particulier, mêlant confiance et fragilité. Après une partie de la tournée effectuée avec six musiciens, elle se produit désormais en formation réduite, le guitariste Yves Desrosiers étant son principal soutien dans une formule de trois musiciens incluant également la violoncelliste Catherine Le Saunier.

« Nous ne faisons pas de grandes salles », affirme-t-elle sans s’offusquer. Un spectacle comme celui-là laisse des impressions profondes. C’est un rythme différent. Il me reste encore deux ans. »

Enfant, Chloé Sainte-Marie était « trop délinquante » pour apprendre le solfège. Elle aimait les bois, les arbres, le chant du vent. «J’ai inventé ma propre voie», note-t-elle. Je suis un cinglé qui cherche toujours. Qui cherche la liberté. »

Chloé Sainte-Marie is performing on Friday, November 29 and Saturday, November 30 at the Salle Claude-Léveillée at Place des Arts.

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