Sous l’Allemagne nazie, de nombreuses œuvres d’art de collectionneurs juifs furent volées, confisquées ou vendues à bas prix. Aux Pays-Bas, des centaines de ces œuvres furent restituées par les Alliés au cours de l’automne 1945, mais seule une poignée fut restituée à leurs propriétaires ou héritiers. Jusqu’au 9 mars 2025, le musée Van Gogh d’Amsterdam met en lumière l’histoire d’un de ces tableaux volés, Repos, paysanne allongée dans l’herbe (1882) de Camille Pissarro (1830-1903), et la famille Van der Bergh, qui dut se séparer de leur travail pour échapper à la Shoah.
Une demande de retour qui n’a pas été traitée
Repos, paysanne allongée dans l’herbe Elle fait partie de la série de personnages ruraux que Pissarro immortalisa entre 1879 et 1882. Elle représente une jeune fille allongée dans un paysage de campagne ensoleillé. Pissarro a capturé la scène paisible en utilisant la lumière qui traverse l’herbe. Le fond plat rappelle les estampes japonaises qui ont pu influencer le peintre. Issu d’une famille d’entrepreneurs du Brabant septentrional, Jaap van den Bergh a acheté le tableau peu de temps après l’invasion allemande des Pays-Bas. En 1943, Jaap et son épouse Ellen van den Bergh furent contraints de vendre de l’huile sur toile pour entrer dans la clandestinité, comme beaucoup d’autres Juifs qui avaient besoin d’argent pour fuir le pays, se cacher ou obtenir de faux documents d’immigration. Le couple a réussi à survivre à la guerre mais leurs filles Rosemarie et Frieda Marianne ont été tuées à Auschwitz.
Frieda Marianne et Rosemarie van den Bergh. ©Collection privée
Après la guerre, Jaap van den Bergh déclara que la vente de son tableau avait eu lieu sous la contrainte, mais sa demande de restitution ne fut pas acceptée. Ce n’est qu’en 2016 que l’histoire de Repos, paysanne allongée dans l’herbe reprend. Un projet de numérisation de l’agence Origins Unknown (une organisation aujourd’hui disparue) recrée le lien entre la famille Van den Bergh et le tableau. Grâce à ce document, les chercheurs identifient l’œuvre dans la collection de la Kunsthalle Bremen et fournissent le chaînon manquant vers sa provenance.. Après avoir recherché des descendants potentiels de Jaap van den Bergh, seule une troisième sœur de Rosemarie et Frieda Marianne, née après la guerre et ignorant l’existence du tableau, a été identifiée comme bénéficiaire.
Camille Pissarro, Le Repos, paysanne allongée dans l’herbe, 1882, huile sur toile,
Kunsthalle de Brême ©Kunsthalle Bremen_Der Kunstverein
Un dispositif de rémunération assez unique
Suite à cette découverte, un accord fut conclu entre la Kunsthalle Bremen, qui conserve l’huile sur toile depuis 1967, avec l’héritière et l’institution. Outre la compensation financière (dont le montant n’a pas été dévoilé), l’accord d’indemnisation est assez unique. Il comprend une étude scientifique sur l’histoire de la famille Van den Bergh pendant les années d’occupation allemande, la publication d’un ouvrage compilant les recherches, ainsi qu’une exposition temporaire aux Pays-Bas. C’est dans le cadre de cet accord que le Musée Van Gogh accueille le prêt de la Kunsthalle Bremen.
La galerie d’art de Brême en 2007 ©Wikimedia Commons/Jürgen Howaldt
En février prochain, travail Fille dans l’herbe, le destin tragique de la famille Van den Bergh et la recherche d’un tableauécrit par Eelke Muller et Annelies Kool (experts sur les questions de restitution du patrimoine culturel de la Seconde Guerre mondiale) avec la contribution de Dorothee Hansen (directrice adjointe et conservatrice de la Kunsthalle Bremen), Brigitte Reuter (chercheuse à la Kunsthalle Bremen) et l’historien Rudi Ekkart, sera publié chez Waanders en anglais et en néerlandais. Il retracera l’histoire émouvante de la famille, de la recherche du tableau aux cicatrices laissées par la guerre.
Enfin, Repos, paysanne allongée dans l’herbe reviendra à la Kunsthalle Bremen le 3 avril 2025 avec une nouvelle présentation qui comprend une contextualisation de sa provenance. Alors que d’autres institutions peinent à trouver un accord avec les ayants droit des familles juives expropriées de leurs collections pendant la Shoah, l’exemple du Pissarro de la Kunsthalle donne un peu d’espoir en démontrant qu’un accord équitable pour les deux parties est possible.
La révolution impressionniste de Camille Pissarro