La saison 2024 est terminée… et la saison 2025 approche à grands pas. L’opportunité de trouver Cyrille Guimard – ancien directeur sportif et sélectionneur de l’équipe de France – pour sa chronique habituelle à Cyclisme’Actu. Les résultats de la saison, la domination de Tadej Pogacar etÉquipe des Émirats Arabes Unisle voyage de Tour de France 2025le mercato, des contrats de plus en plus exorbitants… “le druide” a discuté de tous ces sujets et bien plus encore dans l’interview à regarder et/ou à lire ci-dessous.
Vidéo – La Chronique de Cyrille Guimard… pour Cyclism’Actu
« Tadej Pogacar a dominé la saison du début à la fin »
Que retenez-vous de cette saison ?
Bon, la première chose, c’est que Tadej Pogacar a dominé du début à la fin, avec une maîtrise absolument extraordinaire. On a un autre personnage qui a également maîtrisé le début de saison, Mathieu van der Poel. Et puis le réveil français en début d’année, avec un certain nombre de victoires rafraîchissantes, à tel point que, même si pour la plupart ce n’était pas les grands événements du WorldTour, c’est toujours bien de gagner, ça donne envie de recommencer, cela donne confiance sur le plan personnel, mais aussi sur le plan collectif. Je veux aussi dire merci aux équipes pro d’avoir fait le nécessaire pour que les Français soient prêts pour les Jeux Olympiques, avec ces 2e et 3e places qui sont quand même assez extraordinaires.
Si l’on revient un peu sur la domination de Tadej Pogacar, il ne s’agit pas seulement de sa domination, mais de celle de toute l’équipe UAE Team Emirates. La saison des Émirats arabes unis en 2024 est-elle meilleure que celle de Jumbo-Visma en 2023 ?
C’est difficile… Les 3 Grands Tours, un podium complet sur l’un d’entre eux, pour la Jumbo-Visma, personne ne l’avait jamais fait auparavant. Mais ça va très vite aujourd’hui, pour mémoriser ce qui s’est passé il y a un an ou deux, il faut presque aller chercher les archives. Et cette domination des Emirats Arabes Unis passe au second plan l’exploit de Jumbo-Visma l’an dernier. Il y a toujours des explications, nous ne sommes pas une année au-dessus des autres et l’année suivante mauvaise. Je pense que, tout d’abord, il y a eu la grave chute au Pays Basque avec Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel… Ces deux coureurs ont quand même eu une influence sur le déroulement de la saison qui a suivi, qui sera peut-être aussi un peu favorisé par les Emirats Arabes Unis.
Et quand le leader s’agite, les coéquipiers s’agitent. Quand vous avez un grand leader, vous avez d’excellents coéquipiers. Ces mêmes coéquipiers dans une autre équipe sans grand leader, vous enlèvent 20 %. La motivation collective est quelque chose d’extraordinaire. Et j’ai eu la chance de vivre ce genre d’épisodes, remontez au Tour de France 1984 et vous comprendrez ce que je veux dire, on a quand même gagné 10 étapes, soit 1 et 3 au classement général. Quand il y a cette euphorie de la victoire, c’est gagner, c’est logique, c’est normal. Et c’est d’autant plus logique que c’est l’équipe qui a le plus gros budget et qui a par conséquent les meilleurs coureurs, les meilleurs jeunes… Maintenant, est-ce que ça va durer longtemps ou pas ? C’est un autre sujet. Mais il n’est pas anormal que les Émirats arabes unis dominent ainsi les deux aujourd’hui, compte tenu des éléments que je viens de fournir.
« Le parcours du Tour 2025 ? Ce n’est pas le parcours qui fait la course”
Le parcours du Tour de France 2025 a été dévoilé. Qu’en penses-tu?
C’est bien de beaucoup réfléchir au parcours, sauf qu’on n’a aucun contrôle sur la course. On sait que ce n’est pas le parcours qui fait la course, ce sont les coureurs qui vont s’adapter au type de parcours. Et plus un parcours est difficile, plus les coureurs sont réservés, les stratèges de l’équipe contrôlent aussi au maximum ceux qui pourraient les mettre en danger au travers d’offensives pas très réfléchies. Tout parcours trop difficile bloque la course. Mais on peut se rendre compte que le Tour se joue sur 3 ou 4 étapes, pas sur 21. Sauf que chaque étape est un des éléments du puzzle, qui permettra à un moment donné de prendre la décision. Peut-on être satisfait du parcours ? Oui, car, a priori, on a le sentiment que c’est équilibré. Nous en reparlerons à la fin du Tour.
À qui s’adresse ce cours le plus adapté ? Et au final, dans sa forme de 2024, quel que soit le parcours, conviendra-t-il à Tadej Pogacar ?
Cela convient toujours aux plus forts. Quand j’étais directeur sportif, j’ai commencé à regarder le parcours trois semaines avant le Tour, pas avant. Parce que vous avez une première vue le jour de la présentation. Ensuite, six mois avant, vous savez quels coureurs vous allez sélectionner, mais trois mois plus tard, vous en avez un troisième. On dit que c’est un voyage pour Pogacar, pour Vingegaard… mais seront-ils au départ ? Alors à quoi ça sert de faire des scénarios quand on ne sait même pas qui sont les acteurs ? Et dans quel état seront les acteurs ?
« Lenny Martinez part pour Bahrain Victorious… »
Parlons un peu du mercato, qui a été un peu plus calme que l’an dernier. Quels transferts vous ont marqué ?
Je trouve qu’on n’en parle pas beaucoup, mais c’est celui de Julian Alaphilippe chez Tudor. Il part dans une équipe qui n’est pas WorldTour, accompagné de Marc Hirschi, qui a été le meilleur coureur sur les deux derniers mois de la saison. C’est une fenêtre de transfert intéressante. Ils sont loin du WorldTour, mais ils vont tenter d’y aller et ont fait un recrutement XXL. Et cela me semble très intéressant. Pour le reste de tous les transferts. C’est relativement calme. Souvenez-vous, il y a un an, c’était des équipes qui fusionnaient, d’autres rachetaient. Nous étions loin de la tranquillité et de la sérénité de cette année.
Il y a aussi Lenny Martinez, qui est intéressant à suivre car il part pour Bahrain Victorious, une équipe qui n’est pas forcément en phase avec notre culture et peut-être même simplement celle des Martinez, qui ont une certaine culture, une certaine idée de qu’est-ce que le vélo, que ce soit avec le papa, l’oncle, le grand-père… Comment va-t-il s’adapter dans ce monde ? Je n’ai pas trop peur pour lui, mais ça reste quelque chose qui va être intéressant. Aller dans une équipe dont la vraie culture est difficile à comprendre, qui est un peu en coulisses… car Bahrain Victorious n’est pas l’équipe dont on rêve aujourd’hui. Peut-être que Lenny saura nous faire rêver de cette équipe, mais ce sera difficile à mon avis.
On entend parler de chiffres de plus en plus exorbitants dans le cyclisme, avec des salaires de 8 ou 10 millions par an, et des contrats sur 5 ou 6 saisons, pour des coureurs toujours plus jeunes. Comment évaluez-vous cette tendance ?
C’est une évolution que nous avons commencé à observer il y a quelques années. À une époque, nous signions des contrats pour des jeunes de deux ans. Et je suis bien placé pour en parler, puisque le premier contrat à exister, c’est moi qui l’ai passé, à l’époque où j’étais président du syndicat des cavaliers. L’obligation de deux ans pour les néo-pros a donc été conservée. Puis, au fil des années, les choses ont évolué, les budgets aussi. Et puis nous avons les équipes arabes qui sont arrivées, des compétitions qui y sont également apparues. Et nous voilà aujourd’hui avec des équipes qui n’ont pas de budget fixe, elles ont le budget nécessaire pour faire la meilleure équipe, donc elles ont la possibilité de faire des contrats à long terme avec une rémunération qui est à la hauteur du talent des coureurs. . Mais ça ne me choque pas. Je ne connais pas les clauses, mais il doit y avoir des clauses de sortie d’un côté ou de l’autre. On ne se marie pas pour la vie sans possibilité de s’en sortir.
« Les directeurs sportifs existent-ils encore aujourd’hui ?
Personnellement, dans ce monde du cyclisme en 2024, où il y a de plus en plus d’argent, où les jeunes sont recrutés de plus en plus tôt… aimeriez-vous être manager d’une équipe ou directeur sportif ?
Tout d’abord, les directeurs sportifs existent-ils encore aujourd’hui ? Maintenant, dans la voiture, vous avez des gens qu’on appelle directeurs sportifs, mais qui sont surtout des gens qui communiquent à la radio. Avant, un directeur sportif était le patron de l’équipe. Aujourd’hui, quand on prend un coureur professionnel, il compte au moins sept références dans son équipe. Sept référents avec lesquels il aura des relations différentes. Il a le directeur sportif, l’entraîneur, le psychologue, le préparateur mental, le masseur, la diététicienne… Le coureur n’a plus qu’un seul patron dans une équipe, mais six, sept ou huit. D’autant que selon les courses, on n’a quasiment jamais le même directeur sportif, ou très peu. Il y a 40 ou 50 ans, les organigrammes étaient très clairs et simples. Les choses sont beaucoup plus compliquées car, en plus, au-dessus, vous avez un directeur général, là aussi avec des responsabilités différentes. Dans les équipes que je dirigeais, nous étions moins de 50, alors que maintenant nous sommes à 150, c’est un vrai chantier. On ne peut donc plus voir les choses de la même manière.
Je pense qu’aujourd’hui, être cycliste ne doit pas toujours être très amusant. Et puis il y a une conséquence de tout ça, c’est le nombre de coureurs qui font un burn-out. En 25 ans, on a eu deux ou trois coureurs qui ont souffert de burn-out, c’est tout. Aujourd’hui, c’est trois ou quatre par an. Nous ne maîtrisons donc pas très bien les choses.