L’IA réinvente les médicaments

Oui, bien sûr, l’IA fait peur. Mais il est un domaine dans lequel cette technologie fait rêver : la biochimie. Des chercheurs viennent de présenter de nouveaux anticorps thérapeutiques, entièrement conçus par l’IA, pour cibler des bactéries ou des virus spécifiques. Un exploit inimaginable il y a quelques années.

Hervé Poirier, rédacteur en chef de la revue scientifique Epsilon, nous raconte aujourd’hui une prouesse : pour la première fois, l’intelligence artificielle a réussi à créer de nouveaux anticorps.

franceinfo : Cette prouesse ouvre la voie à de nouveaux médicaments ? Expliquez-nous…

Hervé Poirier : Les anticorps sont nos défenses naturelles. Ces molécules sont produites naturellement par notre système immunitaire, après exposition à une bactérie ou à un virus : elles lui permettent alors de détecter et de neutraliser ces pathogènes.

Ces protéines immunitaires peuvent également être utilisées pour des vaccins ou des médicaments, mais normalement, de telles créations en laboratoire sont un processus extrêmement long et coûteux – le marché des anticorps thérapeutiques vaut des centaines de milliards de dollars.

Grâce à la nouvelle puissance de l’IA, une équipe de biochimistes américains vient subitement de présenter des milliers de nouveaux anticorps, censés cibler spécifiquement le virus du Covid-19, la grippe ou certains cancers. Les tests en laboratoire ont montré que seule une molécule sur 100 fonctionnait comme espéré, mais il reste encore des dizaines de nouvelles molécules thérapeutiques potentielles. C’est totalement bluffant…

Comment cet exploit a-t-il été réalisé ?

L’algorithme s’apparente à ceux qui permettent la production de ces images ultra-réalistes que l’on a vu fleurir ces derniers mois sur les réseaux. Il a été spécifiquement entraîné sur des milliers de molécules réelles, pour deviner la forme géométrique que prend une protéine en fonction de sa formule chimique.

Car c’est là le point clé d’un anticorps : en présentant une forme qui complète parfaitement celle d’une partie d’un virus ou d’une bactérie, il réussit à s’y coller et à le neutraliser. Le problème est qu’il est très difficile de prédire, par des calculs théoriques, la forme d’une molécule donnée. Cette IA y arrive. Mieux encore, elle peut trouver une formule chimique correspondant à la forme recherchée. Vraiment nuluffant.

Avec donc de nombreuses applications thérapeutiques possibles ?

Pour l’instant, c’est une preuve de principe. Mais oui : ces nouvelles IA promettent de réinventer la manière de produire de nouveaux médicaments. Au-delà des anticorps, ils ont récemment permis de découvrir de nouveaux antibiotiques, de nouvelles enzymes, de nouvelles molécules psychoactives.

Le domaine est en plein essor. Avouons-le : ces machines capables de produire des images fausses et ultra réalistes sur une chaîne de montage font un peu peur. Mais en biochimie, cette technologie fait rêver.