Les démocraties européennes sont confrontées à une nouvelle menace d’influence et de désinformation en ligne – non pas de la part d’autocraties comme la Russie, mais émanant des États-Unis. Elon Musk, propriétaire de X et allié de Donald Trump, utilise son réseau pour dénigrer les dirigeants qu’il n’aime pas et promouvoir les opinions et les politiciens d’extrême droite. Le PDG de Meta, Mark Zuckerberg, adopte quant à lui une approche à la Musk qui donne la priorité à la « liberté d’expression » plutôt qu’à la vérification indépendante des faits sur ses plateformes Facebook et Instagram. Les dirigeants européens pourraient craindre que s’ils se heurtent à ces milliardaires américains pour tenter de sauvegarder leurs démocraties, ils risquent désormais de subir des représailles de la part de la Maison Blanche elle-même.
Le pouvoir conféré par l’immense richesse de Musk et sa portée sur les réseaux sociaux a été amplifié par sa proximité avec le président élu américain. Le patron de X semble vouloir semer la pagaille politique à l’étranger. Il a soutenu le parti d’extrême droite AfD avant les élections allemandes et animera jeudi une diffusion en direct avec sa candidate à la chancelière Alice Weidel. Il a accusé sans fondement le Premier ministre britannique Sir Keir Starmer d’être « complice de viols massifs » – faisant référence à un scandale vieux de dix ans concernant les gangs de violeurs d’enfants –, a vicieusement diffamé une femme ministre et a appelé à la libération d’un militant d’extrême droite emprisonné. Il a demandé à ses 211 millions de partisans si les États-Unis devaient libérer le Royaume-Uni de son « gouvernement tyrannique ».
Zuckerberg de Meta n’utilise pas, jusqu’à présent, ses plateformes pour promouvoir ses propres opinions ou celles des extrémistes. Mais le remplacement de la vérification indépendante des faits par le modèle de « notes communautaires » de X – s’appuyant sur les utilisateurs pour signaler la désinformation – même aux États-Unis, soulève la question de savoir si le contenu sera correctement contrôlé ailleurs. Cela semble également être une tentative lâche de s’attirer les faveurs de Trump après des frictions passées. En plus de s’aligner explicitement sur l’idée de « libre expression » de Musk – et de Trump –, le patron de Meta a déclaré qu’il travaillerait avec le nouveau président pour s’opposer à la « censure institutionnalisée » des plateformes en ligne en Europe. Cela crée un conflit entre l’approche de laissez-faire des réseaux sociaux américains et les exigences de l’UE et du Royaume-Uni en matière de réglementation du contenu.
En répondant à Musk, en particulier, les dirigeants démocrates d’Europe et d’ailleurs devraient éviter une réaction de panique excessive qui ferait son jeu. Starmer a frappé juste cette semaine en déclarant, sans nommer le propriétaire de X, qu’une « ligne a été franchie » par ceux qui diffusent des mensonges et de la désinformation en ligne. Musk a cependant réussi à définir l’agenda politique du Royaume-Uni en remettant artificiellement sous les projecteurs un scandale historique, aussi choquant et inique soit-il.
Une certaine patience peut également être justifiée par l’incertitude quant à la durabilité de l’amitié Musk-Trump ; des divisions apparaissent au sein de la coalition pro-Trump. Une dispute réduirait quelque peu l’influence de Musk – et les risques pour les politiciens d’ailleurs qui tentent de le contenir.
Les dirigeants européens devraient néanmoins préciser qu’il existe des règles que les réseaux de Musk et de Zuckerberg sont tenus de respecter. La loi européenne sur les services numériques et la loi britannique sur la sécurité en ligne menacent toutes deux de lourdes amendes pour les grandes plateformes en ligne qui ne parviennent pas à lutter contre les contenus illicites, y compris les formes de désinformation. L’été dernier, une enquête de l’UE a publié des conclusions préliminaires selon lesquelles Musk’s X avait violé le DSA dans des domaines tels que des techniques prétendument trompeuses pour manipuler le comportement des utilisateurs, la transparence de la publicité et l’accès aux données pour les chercheurs.
Les règles de l’UE et du Royaume-Uni sont loin d’être parfaites. Les deux pays doivent veiller à ce que la réglementation technologique n’étouffe pas l’innovation, comme Zuckerberg l’a accusé cette semaine. Mais les accusations de parti pris de gauche dans la modération des contenus européens servent d’écran de fumée aux agendas politiques et personnels de Trump, Musk et Zuckerberg. Les valeurs démocratiques de l’Europe sont si fondamentales que ses dirigeants ne devraient pas hésiter à appliquer des règles conçues pour les protéger – même si cela risque de heurter les patrons de X ou de Meta, ou le président américain de retour.