« Ici, on juge, on acquitte, on condamne mais on ne légifère pas »
Me Roland Marmillot (avocat de deux coaccusés)
Que pensez-vous des hommes dont vous avez été témoin lors de ce procès ?
« On sort libre de cette salle d’audience avec un rendez-vous devant le juge de l’application des peines, dans la mesure où elle devra arranger une peine relativement courte. L’autre n’est pas sorti libre mais sera probablement libéré dans les mois à venir. Les débats ont été très animés, cependant, je me permets humblement de rappeler qu’ici, on juge, on acquitte, on condamne mais on ne légifère pas. Le débat sur le consentement que nous avons voulu mettre en avant dans l’espace public n’est pas celui qui a présidé cette audience qui nous a occupés pendant près de quatre mois. »
Pourquoi ressentez-vous le besoin d’évoquer ce débat sur le consentement ?
« Parce qu’il me semble que cette question a animé le débat public en dehors de cette salle d’audience. Aujourd’hui nous avons un choix à faire en ce qui concerne notre législation au niveau européen, allons-nous imiter les Allemands, les Suédois ou d’autres pays du monde sur la question de savoir si désormais nous changeons de paradigme et de société. Soit on reste avec cette notion d’intentionnalité comme tous les crimes et délits, soit on considère que le viol doit être un crime à part et qu’à ce moment-là, le consentement doit être prouvé par la personne accusée. Ce qui constitue selon moi un risque, un danger certain. »
Que retenez-vous de ce verdict historique ?
« Nous avons demandé sept siècles de réclusion criminelle, aujourd’hui nous avons un peu moins de 450 ans qui ont été distribués. Je constate qu’il y a des gens qui ont été les marionnettes de M. Dominique Pelicot, qui acceptent pour la plupart cette sanction parce que les peines ont été considérablement réduites et c’est une chance. Ils ont été individualisés. Mais je persiste à penser que le crime ultime de Dominique Pélicot a été d’emmener avec lui 50 hommes qui n’étaient pas censés être ici. »
“Je ne comprends absolument pas l’opinion publique”
Me Louis-Alain Lemaire (avocat de 4 coaccusés)
Quel est votre premier ressenti ?
« Ma première pensée est de considérer qu’il s’agit d’un verdict d’apaisement. Les réquisitions des deux procureurs généraux ont été extrêmement sévères et je constate que le tribunal a néanmoins réduit considérablement les peines qui avaient été demandées pour certains d’entre eux. De mes quatre clients, Jacques Cubeau, pour lequel il avait été condamné à dix ans, a finalement été condamné à cinq ans, dont trois avec sursis et deux ans de prison. Cela signifie que le tribunal a divisé par cinq le montant de la peine. Pour Lionel Rodriguez, il y a une réduction d’environ un tiers puisque la peine requise était de 12 ans, et il a été condamné à huit ans. Et même M. Venzin, lui, était requis depuis quatorze ans, il a été condamné à neuf ans ( ndlr, manque Romain Vandevelde qui a reçu la deuxième peine la plus longue – après Dominique Pelicot – avec 15 ans ).
Ce sont des peines qui ne sont pas du tout négligeables, qui sont même significatives, mais au vu des réquisitions très sévères qui avaient été formulées, le tribunal s’est montré relativement modéré. »
Comprenez-vous l’opinion publique qui souhaitait des peines exemplaires ?
« Je ne comprends absolument pas l’opinion publique. Depuis le début, je n’ai jamais cessé de m’insurger contre l’influence que pouvait avoir l’opinion publique sur le tribunal. Heureusement nous avons affaire à des magistrats aguerris et qui ont une indépendance d’esprit à laquelle je rends hommage. Mais évidemment, le fait que la vox populi soit également présente avec notamment les banderoles qui avaient été déployées sur les murs de la ville d’Avignon avec « vingt ans pour tous », « le viol est un viol », est extrêmement préjudiciable à la sérénité des les débats. La Cour n’a pas été dupe et je crois qu’il faut lui rendre hommage. »
“Ce qui peut être dit à l’extérieur ne nous importe pas”
Me Patrick Gontard (avocat de Jean-Pierre Maréchal, considéré comme le disciple de Dominique Pelicot)
Quelle est votre réaction après le verdict concernant Jean-Pierre Maréchal ?
«Je suis très satisfait de la décision qui a été rendue. Pour reprendre la métaphore de Maître Zavarro ( ndlr, l’avocat de Dominique Pelicot ), je dirais que j’étais soliste dans l’orchestre parce que j’étais dans une situation un peu particulière : considéré comme un disciple, quelqu’un qui voulait suivre les traces de Pélicot, mais qui, je crois, voulait avoir le langage de la franchise. Ceux qui s’excusaient, ceux qui regrettaient, disant avoir fait quelque chose d’absolument abominable, comme Jean-Pierre Maréchal, étaient traités comme tels. C’est un homme qui, à travers ce verdict, dont je ne ferai pas appel, retrouve un peu d’espace et d’image auprès des siens et va continuer à s’engager sur le chemin de la réinsertion. C’est un encouragement. »
Votre vision des débats ?
« Ils se sont déroulés dans la sérénité. Dans l’ensemble, c’est le tribunal qui a statué, et non l’opinion publique. Ici, nous sommes dans une enceinte de justice, le calme règne. Ce qui peut se dire au dehors nous importe peu. C’est surtout l’affaire Pélicot à laquelle s’est malheureusement joint Jean-Pierre Maréchal. »
Cette affaire va-t-elle laisser des traces ?
« Oui sur le plan juridique, vous êtes la manifestation ( ndlr, s’adressant aux médias venus nombreux). Dans le sens des relations entre hommes et femmes, peut-être. Chacun doit rester vigilant au quotidien. »
Ils ont également réagi…
Me Céline Attard (pour Fabien Sotton) : « Le tribunal a fait un vrai travail de recherche des faits, d’individualisation, de priorisation pour trouver la bonne peine. Il y a un véritable effort pédagogique. Ce dont l’accusation était accusée – l’aspect fusillade en groupe – je ne le retrouve pas. Je salue le travail d’analyse tant dans les faits que dans les personnalités. Chaque cas a été examiné en détail. »
M e Yannick Prat (pour Simoné Mekenese) : « Je ferai immédiatement appel de cette condamnation qui est dommage. Mon client s’est rendu un jour chez Mme Pelicot. On a juste la parole de M. Pelicot, qui est peut-être le moins crédible de France. Mon client n’avait aucun antécédent de délinquant sexuel et n’était pas dangereux selon les psychiatres. Nous avons d’autres accusés qui ont plus ou moins les mêmes faits, les mêmes profils et qui ont écopé de cinq ans de prison et sont restés libres. »
Me Charlotte Bres (pour Cédric Grassot) : « Nous acceptons la sentence, il n’y aura pas d’appel. C’est une peine juste, acceptable pour mon client. L’exigence de 16 ans était très inquiétante. Il n’était pas nécessaire (et c’est ce qu’a fait le tribunal) que l’impact médiatique influence le quantum des peines. »
Me Philippe Kaboré (pour Grégory Serviol) : « C’est une décision qui nous met entre le marteau et l’enclume. Je pense que de nombreux collègues envisagent sérieusement cet appel. Reste à savoir si en appel, les jurés populaires, influencés par quatre mois de débats, parviendront à disposer d’une indépendance suffisante. »
Me Antoine Minier : (pour Paul Grovogui, Abdelali D*, Saifeddine Ghabi) : « Je considère, pour mes clients, que le tribunal a correctement apprécié leur personnalité, la gravité des faits et l’intérêt des victimes. On s’est posé la question de savoir si le tribunal céderait un peu sous le poids de la vindicte populaire, je crois que cela n’a pas été le cas. »
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