La sortie cinéma de Sarah Bernhardt, La Divineun film biopic réalisé par Guillaume Nicloux, est l’occasion de découvrir la vie de l’amante et amie de l’actrice : la peintre et sculptrice Louise Abbéma.
Le film Sarah Bernhardt, La Divinequi sort en salles ce mercredi 18 décembre, se concentre sur la passion qu’aurait ressenti l’actrice, interprétée par Sandrine Kiberlain, pour Lucien Guitry (le père de Sacha, interprété par Laurent Lafitte). Mais le biopic de Guillaume Nicloux met aussi en avant une autre figure avec laquelle elle a eu une liaison notoire : la peintre et sculpteure Louise Abbéma, rôle confié à Amira Casar.
Cheveux courts et veste à bretelles foncée pour un ; boucles mousseuses et tissus flamboyants pour l’autre. Sur les photos d’archives, l’austérité de Louise Abbéma (1853-1927) contraste avec l’exubérance de Sarah Bernhardt (1844-1923). Mais, dans leurs monnaies respectives, “Je veux” et “De toute façon !”quelque chose laisse penser que ces tempéraments étaient faits pour se rencontrer…
Un moulage de leurs mains entrelacées
Sarah Bernhardt est née d’un père (longtemps) inconnu et à une date incertaine. D’ascendance aristocratique, Louise Abbéma est l’arrière-petite-fille de Louise Contat, célèbre actrice du XVIIIe siècle.e siècle et Louis de Narbonne, le fils adultère de Louis XV. Grâce à un déménagement en Italie l’année de ses six ans, l’enfant découvre les musées, puis la pratique du dessin et de l’aquarelle en autodidacte. De retour en France en 1867, elle pourra d’autant mieux exprimer sa jeune vocation que ses parents ne s’y opposent pas. Repérée par le peintre Carolus-Duran dans les couloirs du Louvre alors qu’elle s’entraînait à copier les toiles, elle entre, en 1873, dans l’atelier pour femmes que le maître du portrait vient d’ouvrir. Un an plus tard, elle expose pour la première fois, représentant sa mère.
« Un jour au Salon [de peinture et de sculpture, renommé plus tard Salon des artistes français] – J’étais une très jeune fille – j’ai vu Sarah Bernhardt à côté de moielle a dit. Elle regardait un tableau. J’ai été séduite par cette ligne exquise, cette silhouette d’une finesse suprême qui est devenue partie intégrante de sa personnalité ! J’ai été envahi par l’immense envie de faire son portrait. Après cette rencontre au début de la décennie, l’élan prend forme en 1876, lors du même salon, lorsque Louise Abbéma présente sa toute première image de l’idole. Le tableau a disparu depuis, mais avait du succès à l’époque. La même année, Sarah, dont on oublie souvent qu’elle était une sculptrice de talent, obtient une mention honorable pour son marbre. Après la tempête.
Entre les deux femmes se noue une relation amoureuse qu’elles ne cachent pas à leurs contemporains, une complicité artistique et une amitié que seule la mort du « monstre sacré » (comme le surnommait Jean Cocteau) Sarah Bernhardt) l’interrompra en 1923. Louise appartient au cercle intime, participant à des voyages à l’étranger, ainsi qu’à des séjours de vacances dans le célèbre fort de Belle-Île-en-Mer (qui abrite aujourd’hui le musée Sarah-Bernhardt). Sous son pinceau émergent de nombreux tableaux et dessins qui représentent l’actrice sur scène ou dans l’intimité, comme ce pastel où, assise devant une assiette de cerises, elle offre une image naturelle rare. En 1883, un grand tableau les représente tous les deux au bord du lac du Bois de Boulogne : il aurait été peint le jour de l’anniversaire de leur liaison… Inversant les rôles, Sarah sculpta également le buste de son amie, conservé au Musée d’Orsay. ‘Orsay. Et tous deux avaient un moulage en bronze de leurs mains entrelacées.
Lesbienne libérée mais antiféministe
La silhouette sombre que la journaliste féministe Séverine décrit comme « un abbé janséniste vêtu de cotillons » et son modèle coloré démontre le même goût pour la liberté. Dans une Belle Époque qui cantonnait la femme bourgeoise aux fonctions d’épouse, de mère et de maîtresse de maison, Louise Abbéma transgressait tous les codes. Cette lesbienne, à qui on attribuait également une relation avec la compositrice Augusta Holmès, refusa le mariage, elle n’accoucha pas – contrairement à Sarah – et vécut de son travail en s’aventurant, au-delà de sa prédilection pour le portrait, dans presque tous les genres picturaux: paysage, nature morte, peinture florale ou animalière, décor, éventail…
Malgré un mode de vie anticonformiste, le personnage n’est pas exempt de paradoxes. Dans son mémoire de maîtrise qu’il y a consacré, en 2013, sous le titre Itinéraire d’une femme peintre et mondaineTristan Cordeil évoque un esprit plutôt conservateur qui, s’il admirait la peintre Rosa Bonheur, ne partageait en rien ses convictions morales. « Louise Abbéma était virulente antiféministe, opposée à l’ouverture du droit de vote aux deux sexes, et était (…) certaine que l’art devait rester genré. (…) Elle était aussi tout à fait satisfaite de la situation de la femme artiste au XIXème siècleeet je ne m’attendais pas à ce qu’elle change.
Il y a deux ans, lors de l’exposition-événement Sarah Bernhardt – et la femme a créé la starle Petit Palais a présenté la dernière photo que le tragédien amputé lui a consacrée, en 1923. “son amie de toujours et bientôt d’au-delà”. Quatre ans plus tard, Louise tire également sa révérence. Très connue de son vivant, décorée chevalier de la Légion d’honneur en 1906, mais considérée comme démodée dans l’immédiat après-guerre, l’artiste tombe rapidement dans l’oubli au cimetière du Montparnasse. Par Sarah interposée, le XXIe siècle le redécouvre… dans toutes ses singularités.
Photo credit: Les Films du kiosk