Sadri Fegaier in his offices in Romans-sur-Isère, November 21, 2022 (AFP / Jeff PACHOUD)
« Autodidacte », « gourou », « génie », « escroc »… En quinze ans, Sadri Fegaier a bâti un empire, d’abord dans l’assurance téléphonique puis dans les services liés aux produits multimédias. Après des liquidations en série, sa condamnation mardi pour pratiques commerciales trompeuses met un terme à la fuite en avant de l’entrepreneur.
En 2010, Sadri Fegaier, fils d’immigrés tunisiens – mère femme de ménage et père camionneur -, titulaire d’un BTS en assurance, lance SFAM, après avoir travaillé dans les magasins franchisés SFR.
“Il est arrivé dans ce monde corseté comme une boule de pétanque”, assurait en 2022 un ancien partenaire du groupe. Il “a créé l’assurance multirisques téléphonie mobile telle qu’on la connaît aujourd’hui”, confiait un autre à l’AFP.
S’ensuivent dix années de succès : 8 millions de clients, plus d’un milliard d’euros de volume d’affaires annuel et 3 000 collaborateurs en Europe. Les magasins en propre du groupe Hubside.Store, proposant des produits multimédia neufs ou reconditionnés, se multiplient, tout comme les services proposés.
Son bras droit Jean-Pierre Galera, débauché chez Altice, a trouvé le jeune patron aux airs de Patrick Drahi. Un associé qui a requis l’anonymat l’a comparé à Bernard Tapie, “sans le côté flamboyant”.
– Des sommets… –
Sadri Fegaier devient l’un des plus jeunes milliardaires de France, selon Challenges. En 2018, elle a discrètement racheté 11,35% de Fnac-Darty pour 335 millions d’euros, après avoir remporté un appel d’offres en 2017 pour distribuer son assurance dans ces grandes enseignes.
Bpifrance et Ardian entrent au capital. Le groupe, rebaptisé Indexia, regroupe des programmes dirigés par Bercy.
Attaché à sa ville natale, Romans-sur-Isère (Drôme), dévastée depuis la fin de son industrie de la chaussure, il y construit un complexe verrier aux intérieurs minimalistes et devient l’un des premiers employeurs privés de la région, fier d’embaucher des jeunes de milieux défavorisés.
Cavalier à ses heures et propriétaire d’un haras, Sadri Fegaier voit néanmoins les obstacles s’accumuler. Une première enquête de répression des fraudes sur des pratiques commerciales trompeuses a abouti à une transaction pénale de 10 millions d’euros en 2019.
Une seconde enquête a été lancée aussitôt face aux centaines de plaintes de consommateurs qui s’accumulaient et l’accusaient d’être « un escroc » : retraits indus sans signature d’avenant au contrat, sommes retirées multipliées pour atteindre parfois des centaines d’euros par mois, non en tenant compte des demandes de résiliation.
– …à l’automne –
Le groupe poursuit ses activités. « Tout le monde a été endormi, y compris nous », raconte un ancien associé.
« Même nous, nous avons été dupés », déplorait un employé le jour de la liquidation de la SFAM. Beaucoup se disent attirés par les salaires deux à trois fois plus élevés proposés pour rejoindre les centres d’appels d’Indexia. Les délégués syndicaux parlent d’un véritable « gourou ».
Au printemps, plusieurs entités du groupe ont été placées en liquidation judiciaire, sonnant la fin de la course pour ce passionné de saut d’obstacles avant son procès pénal pour pratiques commerciales trompeuses, qui a débuté fin septembre.
En 2022, le PDG avait déclaré à l’AFP qu’il pensait aux épreuves hippiques des Jeux olympiques de Paris et se disait « serein » à l’idée d’être jugé par le tribunal correctionnel.
Mardi, il a été condamné à deux ans de prison, dont 16 mois, et à 300 000 euros d’amende. L’homme d’affaires de 45 ans, qui n’a exprimé « aucune mise en cause » selon le président du tribunal correctionnel de Paris, a quitté la salle sans commentaire.
Sur son site officiel, il y a quelques mois, on pouvait lire une citation de Jean-Paul Sartre : « Dans la vie on ne fait pas ce qu’on veut mais on est responsable de ce qu’on est ».
Comme l’espéraient de nombreuses parties civiles qui le soupçonnaient de vouloir lancer de nouvelles activités basées sur les mêmes pratiques, le self-made-man s’est également vu interdire de diriger une entreprise pendant cinq ans.