Cinq ans après des révélations qui ont ouvert la voie au #Metoo français et bouleversé le monde du cinéma, Adèle Haenel a affronté Christophe Ruggia, ce lundi 9 décembre, lors de la première des deux journées du procès où le réalisateur est jugé pour agression sexuelle. relations avec un mineur.
“Il a dit qu’il l’avait créé”, que “les autres ne pouvaient pas comprendre”
Tout au long du résumé de l’affaire par le tribunal, Adèle Haenel a regardé le réalisateur avec des yeux furieux, serrant les dents en lisant les descriptions « constantes » qu’elle faisait des agressions sexuelles qu’elle aurait subies entre l’âge de 12 et 14 ans.
“Tous les samedis après-midi” et toujours de la même manière : sur le canapé, Christophe Ruggia a commencé par lui caresser les cuisses, puis est remonté “comme si de rien n’était”, pour toucher son sexe ou sa poitrine sous ses vêtements. “Il respirait fort” et “m’embrassait dans le cou”, a déclaré Adèle Haenel aux enquêteurs.
Sur le banc des parties civiles, l’actrice semblait revivre les événements, son visage montrant à plusieurs reprises des tics nerveux. “Il lui préparait son goûter préféré” avant de la reconduire chez ses parents, a rappelé le président, Gilles Fonrouge. “Il a dit qu’il l’avait créée”, que “les autres ne pouvaient pas comprendre, qu’il n’avait pas eu de chance de tomber amoureux d’elle, qu’elle était une adulte dans un corps d’enfant”.
“Ça ne va pas, ça ressemble à un couple, ce n’est pas normal”
Adèle Haenel avait 11 ans au moment du casting de son film “Les Diables”, et 12 ans à l’été 2001 lors du tournage, “un test” de l’avis des enfants acteurs et des professionnels adultes. Aux enquêteurs, ils avaient fait part de leur « malaise » face au comportement « inapproprié » de Christophe Ruggia sur le plateau. “Sa main sur la cuisse” de la jeune comédienne, “des choses sur le cou”, elle “assise sur ses genoux”. “Ça ne va pas, ça ressemble à un couple, ce n’est pas normal”, a déclaré un scénariste du film. Le réalisateur avait convaincu les parents d’Adèle Haenel de ne pas venir pour ne pas “empêcher leur fille de jouer correctement”.
Les attaques auraient commencé juste après, au domicile du directeur. Adèle Haenel “a demandé à venir”, a insisté à la barre Christophe Ruggia, 59 ans, jean et veste grise. A l’époque, il était très occupé, le tribunal s’étonnait : « Les seules heures libres dont vous disposez, vous les passez avec une jeune fille de 12, 13, 14 ans ? »
Christophe Ruggia, qui avait alors presque 40 ans, acquiesça, incertain.
“Et qu’est-ce que tu faisais?” » « On parle cinéma, on discute, la plupart du - on passe 1h-1h30 devant la DVDthèque… Elle m’a demandé, c’est quoi ? Et je lui ai dit par exemple non, Le Parrain, tu es trop jeune”, a répondu le réalisateur, sous le regard consterné de l’actrice aujourd’hui âgée de 35 ans.
“Elle a reconstruit les choses, elle a su réinterpréter”
Des scènes décrites, le réalisateur n’a rien reconnu. Le « baiser appuyé sur le cou », les « mains sur la cuisse »… « Elle a reconstruit les choses, elle a su réinterpréter », dit-il. Quant aux attentats : des « purs mensonges »,
« Mais pourquoi te veut-elle autant de mal ? », a demandé le tribunal. «Je pense qu’elle s’est radicalisée»… «Regardez son parcours ces cinq dernières années. Ça commence avec moi, puis ce sont les César avec Polanski”, puis “le cinéma dans son ensemble” et “tous les ministres du gouvernement sont des violeurs”, s’est-il emporté.
Ses tics, troubles nerveux, dépression décrites par l’expertise psychologique, « d’où ça vient ? »
“Je ne sais pas, je ne suis pas psychologue”, a déclaré Christophe Ruggia. “Il fallait qu’on lance un #Metoo en France et ça m’est tombé dessus”, dira-t-il plus tard.
Affirmant qu’il n’avait “jamais” été amoureux ni “attiré sexuellement” par Adèle Haenel, il a réitéré à la barre la “sensualité” lors du tournage de l’actrice de 12 ans. “Oui, elle avait une sensualité débordante, et d’ailleurs elle l’a encore aujourd’hui”, a-t-il déclaré alors qu’Adèle Haenel avait de plus en plus de mal à contenir son agitation.
“Tu es un grand menteur”
Adèle Haenel est alors appelée à la barre. “C’est vraiment trop mignon ce que tu fais, ma chérie”, imite-t-elle. Il lui embrassa le cou. « Aah, tu es vraiment trop drôle », singe encore Adèle Haenel. Une main dans le col sous le t-shirt, puis une autre dans son pantalon.
“Et je me tends, mon corps se tend, je me recroqueville dans un coin du canapé”, poursuit l’actrice en colère.
« S’il trouve que je résiste trop, il me regarde… + quoi, ben quoi ? +, et il continue.” Avant de la ramener chez ses parents, il lui a offert un « goûter » : des biscuits et une « Orangina ».
Sur son strapontin, Christophe Ruggia, 59 ans aujourd’hui, reste impassible, un vague sourire aux lèvres. « Il dit que cela n’est jamais arrivé », rappelle gentiment l’évaluateur.
“Vous êtes un grand menteur, Monsieur Ruggia, et vous le savez très bien”, a répondu Adèle Haenel, sous le regard de sa famille et de ses proches. Elle parle vite, élève parfois la voix, s’excuse immédiatement. « Il n’arrête pas de me sexualiser, ça me dégoûte, comme si une gamine de 12 ans avait déjà eu le look d’une actrice pornographique ! », s’énerve-t-elle, reprenant les propos du réalisateur qui avait évoqué sa « sensualité débordante » lors du tournage.
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