De l’autel au ciboire, du calice à la cathédrale… Entre sculpture et design, Guillaume Bardet a créé tous les objets liturgiques de la cathédrale. Rencontre.
Par Xavier de Jarcy
Publié le 7 décembre 2024 à 13h00
Le designer-sculpteur Guillaume Bardet est enthousiasmé : le diocèse de Paris l’a choisi pour concevoir le mobilier et les objets liturgiques de Notre-Dame. Si la cathédrale a été restaurée dans son état d’origine après l’incendie de 2019, elles seront le seul témoignage de ce qui s’est passé. Dès le 7 décembre, le monde entier les découvrira : l’autel monolithique en bronze, fin et allongé comme une table, mais posé sur un socle étroit. La cathèdre, également en bronze, la chaise de l’archevêque. L’ambon, bureau où seront lus les textes. Le baptistère et sa surface ondulée. Et puis les ustensiles en argent et vermeil. Le créateur a appris tout le vocabulaire : calice, ciboire, patène (plat), ostensoir… Il a soigné à la fois l’esthétique fluide et le côté pratique, cherchant à faciliter les gestes des prêtres lors de la messe.
La vie de Guillaume Bardet est une succession d’aventures. Quatrième d’une famille pleine de diplômes, ce fils dyslexique de professeurs d’histoire s’épanouit dès l’enfance dans le dessin et le modelage. « Ma rencontre avec le design remonte au jour où mon père est arrivé avec une brosse à dents Starck. J’ai découvert qu’on pouvait créer des objets qui ressemblaient à des sculptures. » Après une année en école d’architecture avec des bizutages traumatisants, il s’oriente vers les Arts-Déco à Paris. En 2002, il était en résidence à la Villa Médicis, sous le soleil de Rome. « J’habitais Rouen depuis quinze ans, j’ai découvert la lumière. J’avais des bananes tous les matins. » Travaillant comme un fou, il réussit à acheter 18 tonnes de marbre blanc à Carrare. En pleine vogue pour « design nomade », où chacun ajoute des roulettes aux tables, il ose « l’intransportable » qui traverse le - : neuf pièces sculpturales massives dans lesquelles s’asseoir ou s’allonger. UN Meubles immobiles installé dans les jardins de la villa. Et tandis que les designers de sa génération rêvent de présenter une chaise en plastique au Salon du Meuble de Milan, lui se tourne déjà vers le savoir-faire artisanal qui fera sa marque.
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En 2009, basé à Dieulefit, dans la Drôme, il se lance un autre défi : dessiner un objet en céramique par jour pendant un an. Il commence un lundi avec une tasse de thé, puis dessine une lampe, un vase, un tabouret, un bol… Tout alterne entre le petit et le grand, le ventru et le élancé, le blanc et le fluo. Quatorze artisans de la région ont réalisé les trois cent soixante-cinq pièces l’année suivante. Le résultat, « L’usage des jours », exposé en 2012 à la Cité de la Céramique de Sèvres, est tel un journal de bord créatif, au rythme des saisons et des humeurs, avec ses périodes de repos et ses moments d’éblouissement. Guillaume Bardet passe ensuite au bronze, en commençant par modeler des verres en cire avec ses mains, qu’il confie à un fondeur d’art.
Viennent ensuite les pièces les plus imposantes, dont une immense table entourée de tabourets, qu’il a exposée à Paris, Galerie kreo, en avril 2019. Le tout lui rappelle la Cène. La dernière Cène de Jésus et des apôtres représente pour lui la diversité des sentiments humains. Deux jours avant l’ouverture, Notre-Dame s’enflammait sous ses yeux. «Il y avait une lumière au bout du monde. » Ce souvenir l’a aidé “s’autoriser”, comme il le dit. En 2023, il se lance au concours de mobilier liturgique, pensant que sa proposition serait jugée trop expressive, trop personnelle. « Je l’ai conçu avec joie et légèreté. Si je perdais, cela n’avait pas d’importance. » Finalement, sa générosité et son enthousiasme l’ont emporté. A 53 ans, il n’en revient pas que les médias continuent de l’appeler pour l’entendre parler de son autel de bronze. Il avait raison d’avoir confiance en lui.
Son objet préféré
« Une table, deux verres et une bouteille de vin : l’humanité commence là. Soit on se dispute, soit on s’embrasse. résume Guillaume Bardet. Bon vivant, le créateur aime s’entourer d’amis et leur servir des vins bio de sa région : Gigondas, Saint-Joseph… Il les débouche avec un gros tire-bouchon en métal encadré de plastique orange, lourd et massif. « Sa disproportion m’intéresse. Et c’est de bonne qualité. » Il l’a trouvé en 2002 dans un « boutique improbable » d’Orvieto, en Ombrie, au nord de Rome. L’instrument lui rappelle l’une des périodes les plus heureuses de sa vie. « J’ai 30 ans, je vis un moment magique avec mes amis. » Plus tard, il apprit que ce tire-bouchon servait d’objet publicitaire pour le pire vin italien. Il l’aime bien de toute façon.
Guillaume Bardet, until January 25, 2025, Galerie kreo, Paris 6e