DOMINIQUE FAGET / AFP
La chercheuse Annie Thebaud-Mony, porte-parole de l’association Henri Peznat, lors d’un point presse sur la pollution au plomb, devant la cathédrale Notre-Dame de Paris.
TRIBUNE – 15 avril 2019 : un nuage de fumée rouge orangé s’échappe de la cathédrale Notre-Dame en feu et survole Paris. La poussière se dépose sur les toits de Paris, les rues, les jardins dans un cocktail éminemment toxique de suies et de particules de plomb.
Le président Emmanuel Macron se précipite sur les lieux, sans s’inquiéter des dangers qui s’abattent sur les Parisiens ce soir – et pour longtemps. Aucune trace d’inquiétude pour la santé et la vie des pompiers, mais aussi pour celles des riverains, menacés par ce poison connu depuis des siècles qui s’abat en pluie contaminée sur Paris et ses habitants. Les particules de plomb pénètrent dans le corps humain par ingestion, inhalation ou simple contact cutané. Le nuage est passé. La poussière toxique est restée.
La reconstruction « à l’identique », un « caprice » de Macron
Je suis chercheur en santé publique depuis la fin des années 1970, spécialisé dans les risques professionnels et environnementaux. Le premier travailleur que j’ai aidé à faire reconnaître une maladie professionnelle s’appelait Norbert. Il était peintre en réparation navale et souffrait d’un empoisonnement au plomb, la maladie du saturnisme. Il en souffrira jusqu’à sa mort : problèmes digestifs et rénaux, problèmes cardiovasculaires, cancer.
Mais revenons à Notre-Dame de Paris. Le président Macron, sous les projecteurs des caméras du monde entier, a émis un seul vœu le soir de l’incendie : la reconstruction, “identique”de la cathédrale, dans cinq ans, prévoyant déjà sa réouverture en 2024, année des Jeux Olympiques de Paris.
Ce plomb laminé, sur la flèche et la toiture, va rejeter en moyenne 10 kg de plomb par an sous forme de poussières dans l’air et dans les eaux de ruissellement.
L’injonction est là : rien ne doit entraver la réalisation de ce qui apparaîtra de plus en plus, comme le caprice d’un seul. Alors qu’inexorablement, le désastre invisible mais mortel s’inscrit durablement dans le quotidien de milliers d’ouvriers sur et autour du chantier, dans celui des habitants de Notre-Dame, et au-delà, dans celui des centaines d’enfants fréquentant les crèches et écoles contaminées. . Les seules crèches qui fermeront pour décontamination suite à l’incendie sont celles de la préfecture de police de Paris.
Appel au confinement de la cathédrale après l’incendie
Réunis dans le Collective Plomb Notre-Dameles associations et syndicats, agissant pour la protection de la santé au travail et de l’environnement, se mobilisent dès la deuxième quinzaine d’avril 2019. J’en fais partie. Nous alertons sur l’empoisonnement en cours. En vain!
Nous demandons que le bâtiment soit confiné pour contenir au maximum les poussières de plomb. La présence de plomb s’avérera si importante et répandue dans l’ouest parisien que l’Agence régionale de santé prendra l’initiative d’établir un niveau de pollution. ” normale ” à 5 000 µg/m2 tandis que les spécialistes préviennent que le plomb est un agent toxique sans seuil. A moins de 12 µg/litre de plomb dans le sang, des effets neurologiques sont perceptibles chez l’enfant : troubles neurologiques, troubles cognitifs, troubles du comportement, sans oublier de multiples lésions cellulaires dont les effets ne se révéleront qu’au fil des années, voire des décennies. .
C’est pourquoi nous réclamons également la mise en place d’un suivi médical approprié pour toutes les personnes infectées, comme cela a été fait en 2001, après les attentats du Wall Trade Center, à New York, par les services de santé publique. . Ce suivi a permis un inventaire continu des effets différés de la pollution générée par l’incendie et l’effondrement des tours.
Un suivi médical adapté, tout au long de la vie, est la seule stratégie de santé publique permettant d’identifier les effets à court, moyen et long terme du saturnisme. L’absence, continuellement citée par les autorités, de cas avérés de saturnisme, témoigne non pas de l’innocuité du plomb mais des carences des soins. Ces cas ne sont pas connus puisque rien n’a été fait pour les diagnostiquer.
Une « technique traditionnelle » qui pose des problèmes de santé
Dès 2021, l’annonce est faite au plus haut niveau de l’Etat que le « reconstruction à l’identique » consistera à remettre du plomb lamellé sur la toiture et la flèche de Notre-Dame. Les autorités invoquent la Charte de Venise. Toutefois, cela n’impose en aucun cas l’utilisation de matières toxiques. Dans son article 10, cette charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et sites dit même ceci : « Lorsque les techniques traditionnelles s’avèrent insuffisantes, la consolidation d’un monument peut être assurée par le recours à toutes les techniques modernes de conservation et de construction dont l’efficacité a été démontrée par les données scientifiques et garantie par l’expérience. »
Il est évident que la technique traditionnelle consistant à utiliser le plomb comme matériau de couverture doit être considérée comme un « technique traditionnelle inadéquate »compte tenu des dangers qu’elle représente pour les travailleurs et la population. La décision prise me semble contraire à l’esprit même de la Charte de Venise, qui exige que la restauration respecte les valeurs et principes qui ont présidé à la construction des monuments. Et Notre-Dame n’est-elle pas un symbole de respect de l’homme et de l’humanité à travers les siècles ?
Pourtant, les rappels sur la toxicité du plomb n’ont pas manqué. En février 2021, le Haut Conseil de la Santé Publique a voté en faveur de l’interdiction de l’utilisation du plomb roulé comme matériau de toiture. C’est le moment choisi par Emmanuel Macron et les responsables de la reconstruction pour imposer ce choix. Ce plomb laminé, sur la flèche et la toiture, va rejeter en moyenne 10 kg de plomb par an sous forme de poussières dans l’air et dans les eaux de ruissellement.
L’association Henri Pézerat et le syndicat départemental CGT ont porté plainte pour mise en danger de la vie d’autrui, d’abord en 2021, puis, avec constitution de partie civile, en 2022. Un juge d’instruction a été désigné mais la justice n’a toujours pas statué.
Qu’importe ! L’injonction du président a été scrupuleusement respectée, malgré les règles des Codes du travail, de l’environnement et de la santé publique, malgré les alertes scientifiques mais aussi les protestations citoyennes et syndicales. Notre-Dame est désormais le symbole d’un désastre annoncé. Si, comme le disait Jean Rostand, l’obligation de supporter nous donne le droit de savoir, le refus d’informer et le fait de traiter les lanceurs d’alerte en adversaires laissent dans l’ignorance tous ceux qui en ont et devront en souffrir.
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