Ouest Boualem Sansal? L’inquiétude règne jusqu’à l’Élysée face à la « disparition » de l’écrivain franco-algérien de 75 ans, en lutte contre l’intégrisme religieux et l’autoritarisme, sans nouvelles depuis plusieurs jours.
On fait le point sur les zones d’ombre qui entourent la disparition de celui que Christian Estrosi vient de nommer citoyen d’honneur de la ville de Nice et qui présidait le dernier Festival du livre de Nice.
Qui est Boualem Sansal ?
Sansal est l’une des grandes voix de la littérature francophone contemporaine, auteur d’un ouvrage engagé contre l’obscurantisme et pour la démocratie.
Né en 1949 à Theniet El Had, en Algérie, d’un père d’origine marocaine et d’une mère ayant reçu une éducation française, il commence à écrire à l’âge de 48 ans et publie son premier roman, « Le Serment des Barbares », deux ans plus tard. Il raconte la montée en puissance des fondamentalistes qui ont contribué à plonger l’Algérie dans une décennie de guerre civile qui a fait 200 000 morts.
Après une carrière d’enseignant, de chef d’entreprise et de haut fonctionnaire, il est démis du ministère algérien de l’Industrie en 2003 pour ses positions critiques à l’égard du gouvernement, notamment sur l’arabisation de l’éducation.
En 2019, il participe à des manifestations à Alger contre le pouvoir algérien qui conduisent à la démission du président Abdelaziz Bouteflika.
Que lui est-il arrivé ?
Selon plusieurs médias, dont l’hebdomadaire français Marianne, l’écrivain a été interpellé samedi à l’aéroport d’Alger, en provenance de France.
Toutefois, aucune information officielle, ni même sous couvert d’anonymat, n’a filtré sur son sort des deux côtés de la Méditerranée, dans un contexte de relations tendues entre les deux pays.
According to Le Monde, les autorités algériennes auraient pu très mal prendre les déclarations de Sansal au média Frontièresréputés d’extrême droite, qui reprennent la position marocaine selon laquelle le territoire marocain a été tronqué sous la colonisation française au profit de l’Algérie.
Selon le quotidien, il s’agirait d’un “ligne rouge” pour Alger, ce qui pourrait valoir à l’écrivain des accusations de« attaque contre l’intégrité nationale ».
Jeudi soir, l’entourage du président Emmanuel Macron a annoncé que ce dernier était “très préoccupé par la disparition” de Boualem Sansal et a précisé que “Les services de l’Etat sont mobilisés pour clarifier sa situation”, sans donner plus de détails sur ce dossier.
De quoi parle le travail de Boualem Sansal ?
L’œuvre de Boualem Sansal évoque sans tabou et dans un style parfois caustique l’histoire de l’Algérie, la mémoire, les relations avec la France et dénonce inlassablement l’islamisme.
Parmi ses titres célèbres, « Le Village allemand » (2008), censuré en Algérie, évoque à la fois la Shoah, la guerre civile en Algérie et la vie des Algériens des banlieues françaises.
Dans « 2084, la fin du monde » (2015), il prend des accents orwelliens pour dénoncer la menace que le radicalisme religieux fait peser sur les démocraties, en imaginant l’islamisme au pouvoir.
Publié dans la prestigieuse collection Blanche de Gallimard, Boualem Sansal est un habitué des prix littéraires en France: the French Academy awarded him its Grand Prix de la Francophonie, then its Grand Prix du roman for “2084, la fin du monde”.
Quelles étaient ses positions ?
Son engagement et ses mises en garde à l’égard de l’Europe, et de la France en particulier, contre les dangers de l’islamisme ont valu à cet athée revendiqué de fortes inimitiés. Et le fort soutien des intellectuels et des médias de droite et d’extrême droite, applaudissant ses déclarations chocs sur un « Ordre islamique » qui essaierait « s’installer en France ».
En Algérie, les menaces se multiplient depuis qu’il s’est rendu en Israël en 2014 pour recevoir un prix littéraire.
Ses positions suscitent parfois des accusations d’islamophobie, qu’il défend inlassablement. “Je n’ai jamais rien dit contre l’islam qui puisse justifier cette accusation” mais, “ce que je n’ai jamais cessé de dénoncer, c’est l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques et sociales”, expliquait-il à l’AFP en 2017.
Quelles ont été les réactions ?
Plusieurs responsables politiques français, pour la plupart de droite, ont fait part de leur inquiétude depuis jeudi, de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe (« Il incarne tout ce que nous chérissons : l’appel à la raison, la liberté et l’humanisme contre la censure, la corruption et l’islamisme »), to Marine Le Pen (RN) via Laurent Wauquiez (LR).
A gauche, le patron du PS Olivier Faure a appelé à “en libération”et les socialistes Jérôme Guedj et Laurence Rossignol ont également affiché leur soutien.
Du côté des écrivains, Tahar Ben Jelloun a appelé dans l’hebdomadaire français Le Point pour “libérer” Boualem Sansal, tandis que Kamel Daoud a dénoncé dans le même magazine le fait que son « frère » Boualem Sansal soit « derrière les barreaux, comme toute l’Algérie ».
Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt cette année, a publié à la rentrée « Houris », un roman noir se déroulant en partie à Oran sur le sort de l’Aube, une jeune femme muette depuis qu’un islamiste lui a tranché la gorge. le 31 décembre 1999, et qui le place au cœur d’une polémique.
Après que sa maison d’édition Gallimard ait été interdite de participation au Salon international du livre d’Alger cet automne, l’écrivain franco-algérien est également visé par deux plaintes dans ce pays. Ils lui reprochent, ainsi que son épouse psychiatre, d’avoir révélé et utilisé le récit d’un patient pour l’écriture d’« Houris ».