« Les maires font face à une bureaucratisation effrayante » – L’Express

« Les maires font face à une bureaucratisation effrayante » – L’Express
« Les maires font face à une bureaucratisation effrayante » – L’Express

Dénigrement de l’action municipale, désintégration des ressources… Alors que le congrès des maires se tient du 19 au 21 novembre à Paris, les griefs sont nombreux. A tel point que l’événement risque d’être celui de la « colère » et des élus qui pourraient être « les prochains gilets jaunes », ont récemment prévenu des représentants de l’Association des maires de (AMF).

A l’occasion du congrès, L’Express publie un dossier spécial consacré aux 35 000 communes de France dans lequel le politologue Dominique Reynié met en garde contre l’effroyable « bureaucratisation » par laquelle l’État restreint et décourage ceux qui restent les plus populaires parmi nos citoyens. les élus. Entretien.

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L’Express : Le maire est-il toujours l’élu le plus apprécié de la population ?

Dominique Reynié: Dans l’ensemble, oui, et c’est compréhensible. Aujourd’hui encore, l’image politique que se donne la France d’elle-même passe par la petite communauté de base qu’est la commune, que l’on associe à un ensemble de représentations : mairies, panneaux indicateurs, mémoriaux aux morts… Comme l’ont compris les penseurs de l’Antiquité grecque, la politique est une activité de tisserands et le maire est justement celui qui tisse les liens de mille façons et fait ainsi tenir la ville unifiée.

L’autre atout du maire est sa proximité avec les citoyens. Il est connu, il est accessible, on voit les résultats de ses décisions : il incarne la politique à l’œil nu, en quelque sorte. Face à lui, chacun de nous est certes le gouverné, mais aussi l’interlocuteur et le témoin de l’action du gouvernant.

Pourtant, la popularité des maires semble décliner, comme en témoignent les attentats dont ils sont victimes…

En effet. Ces dernières années, cette grande figure de la politique française a perdu une partie de sa sympathie capitale. C’est un signe. Lorsque le maire est touché, le mal devient très grave.

Quelles sont les raisons de cette relative désaffection ?

Je vois des raisons sociétales et des raisons politiques. Sur le plan sociétal, on assiste en France à une opposition croissante entre deux mondes qui se reconnaissent de moins en moins : ruraux versus urbains ; le pavillon adossé au bâtiment ; Culture régionale versus culture mondialisée. De plus en plus souvent, les habitants des métropoles ne comprennent plus le monde des habitants des petites villes et de leurs élus. Ce conflit interculturel s’aggrave au fil des années car, depuis longtemps, les citadins ont un grand-père ou un cousin paysan. Aujourd’hui, ce lien est presque rompu. Et nous nous retrouvons avec des citadins qui disent aimer la nature, mais ne semblent pas aimer ceux qui y vivent.

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Ce hiatus est d’autant plus marqué que la culture métropolitaine détient un quasi-monopole de la représentation intellectuelle, médiatique et académique. Cela est dû à notre centralisation – tous les grands médias sont à Paris – qui se décline au niveau régional – Toulouse ou Bordeaux imitent la capitale.

Et quelles en sont les raisons politiques ?

Les maires sont confrontés à une bureaucratisation effrayante. Dès qu’ils veulent faire quelque chose, ils doivent compléter 28 dossiers requis par le système central ! En fait, nous avons progressivement transformé les maires en para-fonctionnaires, en simples exécutants des réglementations nationales. C’est une catastrophe car ce qui fait la qualité d’un maire, c’est sa connaissance de son territoire et de la communauté humaine qui y vit. Mais aujourd’hui, il est empêché de mettre en œuvre des politiques adaptées à sa ville et contraint d’appliquer des mesures qui ne sont pas pertinentes chez lui. Le citoyen en conclut que cela ne sert à rien de voter. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de voir les taux d’abstention augmenter aux élections municipales.

Mais n’est-il pas positif que des normes soient édictées, par exemple pour lutter contre le réchauffement climatique ?

Qui pourrait s’y opposer ? Le problème est qu’en multipliant les normes, l’appareil d’État traite le maire comme un technicien. Pour autant, il n’est pas un technicien : il est le représentant de sa population et rend service au collectif ! Au lieu de le considérer comme tel, on lui demande d’ingérer des textes auxquels, le plus souvent, il ne comprend pas grand chose, d’autant que, faute de moyens, il ne dispose pas d’une équipe d’experts autour de lui. des experts qui pourraient l’aider.

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N’est-ce pas la raison pour laquelle on a créé des intercommunalités, avec l’idée de préserver les communes, donc de maintenir la proximité, tout en donnant aux maires les moyens dont ils ont besoin ?

L’intention était bonne, mais, finalement, l’intercommunalité est une autre façon de tuer la République municipale. En fait, nous avons placé les maires dans un système dont ils ne peuvent sortir s’ils ne veulent pas être privés de financement. Avec l’intercommunalité, la capacité du maire à prendre des décisions et à rendre compte à ses administrés est encore plus altérée.

N’est-ce pas pourtant indispensable ? La France compte 35 000 communes, dont 25 000 de moins de 1 000 habitants…

L’intercommunalité est en effet essentielle. Je dis simplement que nous sommes allés trop loin dans cette direction. Par ailleurs, nous sommes confrontés à un problème démocratique puisque cette couche, dotée de pouvoirs importants, n’est pas soumise au suffrage direct des électeurs. Et ce n’est malheureusement pas le seul exemple que l’on pourrait citer…

A quoi penses-tu ?

Souvenez-vous de la conférence citoyenne sur le climat. Lors de son lancement, en 2020, Emmanuel Macron a reçu avec beaucoup de respect les personnes tirées au sort qui le composaient et leur a déclaré en substance : « Ce que vous décidez, pour l’essentiel, nous l’appliquerons. » Quel était le message implicite ? “Les gens qui n’ont pas été élus décideront à la place de ceux que vous avez élus.” Et nous étions au lendemain du second tour des élections municipales, marqué par un taux d’abstention record ! Nous aurions dû crier « Alerte ! » parce que le cœur de la politique française a été touché. Mais non : au lieu de renforcer les maires, nous avons eu droit à cette scène particulièrement inquiétante. Visiblement, Emmanuel Macron n’a pas saisi la portée de ce moment !

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Face à ce constat, que faire ?

Nous avons besoin d’un mouvement majeur de décentralisation. Jean-Pierre Raffarin a tenté de le faire au début des années 2000, mais tout s’est enlisé. Pire : depuis, on assiste au phénomène inverse. La manière dont François Hollande a redessiné la carte des régions a été désinvolte et irrespectueuse. Et quand Emmanuel Macron supprime la taxe d’habitation, il prive les élus de leur autonomie et renforce la centralisation.

Concrètement, que préconisez-vous ?

Il faut une nuit du 4 août du règlement. Et choisissez. Soit on opte pour un modèle jacobin pur, on supprime les communes et on se contente de maires nommés par l’Etat, chargés d’exécuter ses arrêtés. Soit on fait des maires des unités politiques vivantes, responsables devant leurs électeurs, mais pour cela il leur faut une réelle autonomie.

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Accorder autant de libertés locales ne reviendrait-il pas à rompre avec le principe d’égalité ?

On le croit souvent. En réalité, c’est le contraire. Traiter de manière égalitaire des territoires qui ne disposent pas des mêmes ressources, c’est amplifier les inégalités. Le philosophe américain John Rawls l’exprime ainsi : « Il n’y a que des inégalités, celles qui profitent aux moins favorisés. » C’est pourquoi appliquer les mêmes règles en Creuse et dans les Hauts-de-Seine est absurde, voire hypocrite. L’État est en crise profonde, mais il refuse d’accorder des libertés aux territoires, de peur de perdre sa suprématie absolue. Il est temps de changer de logiciel.

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