l’essentiel
La suppression d’un jour férié fait partie des pistes envisagées par le gouvernement pour faire des économies. Pour le sociologue Jean Viard, l’idée n’est pas absurde, mais une réflexion plus globale sur le sens de tous nos jours fériés serait utile. Entretien.
La Dépêche du Midi : Pensez-vous que nos jours fériés ont encore un sens en 2024 ?
Jean Viard, sociologue des « temps sociaux » : Pour moi, l’essentiel est qu’il est temps que ces journées changent de sens. Aujourd’hui, la plupart des jours fériés sont chrétiens en France, il existe quelques jours fériés politiques, comme le 11 novembre, le 8 mai et le 14 juillet, mais ils sont en réalité assez peu nombreux.
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Les jours fériés d’origine chrétienne posent question dans un pays laïc. Qu’en penses-tu?
Je trouve ça très anormal honnêtement. Il n’y a pas de jours fériés pour les musulmans ou les juifs. Que chaque religion ait un ou deux jours fériés, pourquoi pas, mais il serait logique que les jours fériés soient plutôt liés aux valeurs républicaines. On pourrait imaginer une journée de paix, une journée d’hommage à tous les soldats morts pendant les guerres, une journée pour la nature…
Pensez-vous que la journée de solidarité mise en place en 2004 a été comprise ?
Je ne pense pas. Quand il a été mis en place, c’était pour tout le monde, c’était clair. Donc au fond, les Français ne s’en plaignaient pas vraiment. D’autant que cela rapportait beaucoup d’argent. Mais aujourd’hui, plus personne ne comprend rien, certains travaillent, d’autres pas… La façon dont tout cela a évolué est assez étrange. Je pense que là encore, le sens s’est perdu.
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Pensez-vous qu’une nouvelle abolition des jours fériés pourrait être la bienvenue ?
Pourquoi pas, mais il faut bien expliquer. Et cela dépend aussi du jour où nous supprimons. Je vous rappelle que le 8 mai a été aboli par Valéry Giscard d’Estaing en 1975. Honnêtement, personne n’a trop protesté à l’époque. Elle fut ensuite restaurée en 1981 par François Mitterrand.
Y a-t-il des jours fériés auxquels les Français sont plus attachés ?
Je pense que les Français sont plus attachés aux jours fériés du printemps car tout le monde cherche à faire un pont pour profiter de la nature. Le mois de mai est une période de grands départs. Pour les autres jours fériés, c’est beaucoup moins vrai… Supprimer un jour férié en hiver, à mon avis, se passerait plutôt bien. Et puis, c’est une manière de gagner de l’argent sans que ça soit trop embêtant…
Les Français ne risquent-ils pas d’avoir l’impression de perdre un atout social ?
Ils le pouvaient, mais les deux dernières fois où la question s’est posée, pour le 8 mai et le lundi de Pentecôte, les gens ne se sont pas tellement plaints, ils ont même triché en récupérant les 35 heures et en demandant un jour de congé. Les Français partent en vacances 15 jours en moyenne, mais ils ont 5 semaines de congés payés, donc je pense qu’ils ont des jours en réserve. Je ne pense pas que ce soit un enjeu majeur, c’est une manière de récupérer un peu d’argent qui n’est pas absurde. Et puis, il manque des milliards, tout le monde sait qu’on va se prendre un coup dans le nez. Donc au final, supprimer un jour férié est moins pénible qu’une augmentation des cotisations sociales ou des impôts, même si cela signifie un peu de rentrée d’argent en fin de mois…
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Il faut une réflexion plus globale si je comprends bien ?
En France, il n’existe absolument pas de véritable réflexion sur le temps de travail. On pourrait réfléchir au sens, mais aussi à une manière de moins désorganiser le temps de travail. Il y a par exemple des pays où on a systématiquement mis tous les jours fériés le lundi car on considère que le nombre de jours fériés est un acquis social mais qu’il déstabilise le temps de travail.