Ses yeux bleu azur dégagent une certaine détermination. A 43 ans, Thomas Ruyant a déjà prouvé beaucoup de choses. Le double vainqueur de la Transat Jacques Vabre et de la Route du Rhum s’apprête à s’élancer pour la troisième fois de sa carrière à l’attaque « l’Everest des mers »le 10 novembre.
A moitié allongé sur son bateau amarré aux Sables-d’Olonne, il se réjouit du succès populaire qu’il suscite. Parmi la foule de curieux, beaucoup se sont arrêtés devant son Imoca et ont saisi leur téléphone pour immortaliser cette brève rencontre, bien conscients qu’il s’agissait d’un prétendant au titre. Pour autant, le natif des Hauts-de-France n’était pas prédestiné. « Je ne suis pas Breton, je ne suis pas issu d’une famille de marins, je n’ai pas passé mon enfance sur l’Optimist, Bref, pas anodin ! “, est-ce qu’il s’amuse
Croyez en vos forces
Ceux qui pratiquent également la course à pied et le hockey sur glace feront néanmoins très tôt du sport leur métier. Diplômé d’un master en management du sport, il prend goût à la voile dès le lycée, s’imaginant déjà à la conquête du globe. Détenteur d’un riche palmarès en près de vingt ans de carrière, le marin s’envolera le 10 novembre prochain pour jouer la victoire et, au-delà, en assumer l’entière responsabilité. “Je sais de quoi je suis capable et je sais que je suis l’un des favorisil sourit. Ce label ajoute de la pression mais une pression positive, on s’est battu pour l’obtenir. Ces dernières années, j’ai eu de très bons résultats avec mon bateau. Je sais qu’il a le potentiel pour remporter le Vendée Globe, même s’il y en a plein d’autres. »
Ni fétichiste ni superstitieuse, l’évocation des rêves cachés des marins et de leur relation parfois mystique avec les éléments ne suscite chez Thomas Ruyant qu’un geste de la main. « Je suis très terre-à-terre, je ne me perds pas dans une question spirituelle. Il y a des moments de grâce en mer, mais finalement, le temps pour en profiter est court, la performance est en jeu à chaque instant. » Pour cette personne discrète, la compétition prime sur tout le reste. « Mon envie est d’être fier de ce que j’ai fait, d’y revenir bien sûr, il rit, rendre la pareille à toutes les personnes qui ont travaillé à mes côtés. Le rêve un peu fou serait évidemment de s’imposer en premier dans le chenal des Sables-d’Olonne. Je ne dis pas que je vais gagner, mais je sais que je peux et j’ai tout pour y parvenir. Cela reste cependant le Vendée Globe, une course à part et durant laquelle beaucoup de choses peuvent se passer. »
Car Thomas Ruyant sait mieux que personne à quel point la course au large, et notamment le Vendée Globe, reste imprévisible. Lors de l’édition 2016, après avoir percuté un objet flottant non identifié, il avait abandonné le tour du monde au large de la Nouvelle-Zélande, avant de ramener héroïquement à bon port son bateau lourdement endommagé. Quatre ans plus tard, après avoir longtemps combattu pour le podium, il termine finalement à la 6ème place, après application de la compensation de temps obtenue par Jean Le Cam et Boris Herrmann, suite au sauvetage de Kévin Escoffier.
La vulnérabilité du marin
Au cœur d’une nature hostile, son engagement pour l’édition 2024, au sein du projet Vulnérableprend soudain tout son sens. Avec son partenaire et sponsor Advens, entreprise française de cybersécurité, Thomas Ruyant souhaite promouvoir un changement de regard sur la vulnérabilité des hommes et de la planète. Derrière le défi sportif, une ambition : donner une place aux plus vulnérables d’entre nous pour mieux humaniser la société. « Depuis le début de ma carrière en 2005, j’ai toujours eu à cœur de mettre mes performances au service de causes sociétales, il explique. Avec eux, je me suis souvent senti moins seul à bord de mes voiliers, car je navigue beaucoup seul. L’idée de ce projet est d’appeler chacun à considérer la vulnérabilité comme un potentiel à valoriser, plutôt que comme un fardeau à cacher. »
A travers sa fenêtre de marin, Thomas Ruyant revendique aussi une perception accrue de la vulnérabilité de la planète : « A notre échelle, on a parfois du mal à voir le changement climatique, pourtant il est là. SIl fallait que je cite un exemple entre le début de ma carrière et maintenant, c’est la prolifération des algues en mer. On en voyait peu avant, il y en a de plus en plus, tout comme les déchets plastiques. Nous prenons conscience de la vulnérabilité de notre maison. »
Seul à bord de son cockpit, Thomas Ruyant partagera, pour la première fois lors d’un Vendée Globe, le nom du bateau Vulnérableavec un autre marin, Sam Goodchild. Le Britannique sera le deuxième larron de cette expédition menée et financée par Advens. Sur le ponton des Sables-d’Olonne, les deux hommes amarrés côte à côte affichent leur complicité. Une manière de ne jamais vraiment se retrouver seul avant de partir.