Des toiles de maître, très souvent célèbres, qui gagnent l’espace public sur des panneaux publicitaires trois semaines durant. L’idée est venue à Quentin Brière, le maire DVD de Saint-Dizier, dans la Haute-Marne, en 2021, face à “la dépression du Covid“. Sur notre antenne, Les Pieds sur terre vous avaient fait découvrir cette initiative.
Quentin Brière, maire DVD de Saint-Dizier : “Comment faire une brèche de lumière dans la vie des gens ?, c’était notre idée de départ”
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Pour la première fois cette année, ‘La beauté sauvera le monde‘*, désormais institutionnalisée via une association, s’étend à 31 autres villes, sur plus de 1 000 supports : sur des panneaux traditionnels mais aussi sur des abribus, des transports en commun, des vitrines de magasins, des frontons de bâtiments publics, des grilles de jardins ou des bâches de chantiers. Avec des soutiens dans le public comme dans le privé. Nous sommes allés à Graulhet, dans le Tarn.
“Cela ne vend rien, si ce n’est de la couleur et de la beauté”
C’est la reproduction de la Clownesse Cha-U-Kao, peinte par Toulouse-Lautrec et conservée au musée d’Orsay (non exposée en salle actuellement), qui illumine la place de la mairie de Graulhet. Grâce à Marc Mirales, l’adjoint à la culture de cette ville de 13 000 habitants, capitale historique du cuir :
“Lautrec est un Tarnais (né à Albi) et cela change un petit peu des panneaux où l’on voit du poulet à 3,90 euros ou une perceuse à 59 euros. Il y a une trentaine de panneaux comme cela dans la ville. Les gens peuvent les voir tous les jours. Ça les arrête, les interroge : ‘Pourquoi c’est là ?’ Car cela ne vend rien, si ce n’est de la couleur et de la beauté.”
Face à la Poste, au bord d’un rond-point, Manon, jeune maman qui promène son bébé, réagit elle à La jeune femme lisant une lettre, de Jean Raoux, glissée dans un panneau publicitaire que je lui ai signalé :
“Au moins, c’est gratuit. Au moins, on voit ce que l’on peut voir dans les grands musées dans lesquels on ne peut pas aller forcément. Ça fait rêver, on se dit : ‘Comment il a peint ça ?’ Moi, quand j’étais petite, j’étais une grande fan de Van Gogh, donc pourquoi pas. Même pour les tout-petits, se projeter dans l’art, dans tout ce qui est peinture, arts plastiques, dessin, cela peut donner des idées.”
Van Gogh, dont la nuit étoilée est justement l’oeuvre la plus sélectionnée par les villes qui relaient l’idée du maire de Saint-Dizier.
Lautrec, Monet, Frans Hals, Pierre Subleyras dans un cadre qui peut prêter à confusion
Dans les rues de Graulhet, des reproductions des Gondoles à Venise, de Monet, du Bouffon au Luth, de Frans Hals, ou de L’étude académique de Pierre Subleyras complètent le dispositif, qui dure trois semaines. Et dans cette commune aujourd’hui gérée par la gauche et qui a beaucoup souffert économiquement, l’afficheur régional impliqué se dit ravi, quand bien même l’opération lui a coûté 1 500 euros. Claude Mouchard préside la société Attria :
“Ce n’est pas du tout une quelconque perte d’exploitation et très souvent on peut intégrer dans nos espaces publicitaires des campagnes de ce type, dans le sens où nous démontrons ainsi l’utilité du support. Proposer à une collectivité d’imprimer les affiches et de les poser gratuitement, cela démontre d’abord notre intérêt pour la vie locale et je trouve cela très très bien. C’est une très belle opération.”
Sur la place du marché, Marie émet toutefois un doute, elle qui par principe évite ces marqueurs dans l’espace public :
“Maintenant que vous m’expliquez cette démarche, elle est plus claire. Je trouve que c’est intéressant pour amener un peu plus près la culture dans nos lieux publics. Mais de le mettre sur des panneaux publicitaires, il y a quelque chose qui enlève le fait que l’on pourrait s’arrêter et contempler. Il y a un peu un double-tranchant à utiliser un panneau publicitaire. D’ailleurs, la première affiche que j’ai vue est celle de Toulouse-Lautrec à la mairie et je me suis demandé pour quoi était cette publicité ?“
Davantage expliquer l’opération et associer les habitants en amont, en particulier les enfants, comme dans certaines autres villes engagées, pourrait, qui sait, éviter cet écueil.
L’enthousiasme de la RMN et les investissements de Bouygues et bientôt des gares
L’opération bénéficie en tout cas du soutien de l’association des villes de France et a été repérée par la Fédération française des trucs qui marchent. Et la Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais et son président Didier Fusillier y ont très vite adhéré, dès 2022, permettant de choisir les toiles dans un panel d’un million 500 000 photos ! :
“Il faut bien se dire que les reproductions que nous offrons sont des reproductions des musées, grâce à des photographes professionnels et avec des technologies d’aujourd’hui. Nous sommes en 4K, le Louvre est passé en 8K, donc les définitions des images sont complètement stupéfiantes. Après, il s’agit de trouver des moyens financiers pour respecter les droits d’auteur, la protection des oeuvres, ce qui est notre rôle. En les rendant accessibles à de tout, tout petits villages. J’y crois énormément !“
Le président de la RMN-Grand Palais qui souhaite que l’on identifie vraiment bien à l’avenir dans quel musée est exposée l’oeuvre affichée.
Bouygues Bâtiment s’est aussi largement mis sur les rangs et promeut ‘La beauté sauvera le monde’ sur des bâches de chantier dans pas moins de 11 villes. L’opération qui devrait investir l’an prochain les gares des communes candidates, avec peut-être des codes-barres sur les affiches pour en savoir plus sur les oeuvres mises en avant.
* “La beauté sauvera le monde” est une phrase issue du roman L’Idiot, de Dostoïevski