Une fois n’est pas coutume, commençons par la conclusion : Deux filles nues de Luz est un livre totalement maîtrisé, d’une intelligence aiguë, une très grande bande dessinée. Luz – malheureusement pour lui et pour ses amis assassinés lors du massacre de Charlie Hebdo – connaît le prix du regard des hommes sur les images. Eh bien, dans ce livre, c’est une image qui regarde l’histoire.
Parlons peinture…
Cette image est un tableau qui existe réellement, peint en 1919 par l’artiste allemand Otto Mueller. Le titre vous dit ce qu’il représente, Deux filles nuesmais nous ne les verrons jamais. Parce que nous sommes le tableau, nous sommes à leur place, et nous regardons l’histoire en cours : dans les années 1920 et 1930, en Allemagne, avec la montée du nazisme, la dépossession des juifs et le détour par la sinistre exposition, voulue par Hitler. sur l’art dégénéré.
Le tableau regarde ceux qui l’admirent, l’achètent, le volent, le critiquent, le transportent. Il voit d’autres tableaux partir en fumée dans les bûchers que l’ordre nouveau allume pour imposer ses vues. Malade, le peintre Otto Mueller meurt en 1930. Rescapé de ces temps atroces, le tableau montrera plus tard les foules déambulant dans les galeries et les musées, inconscientes du poids du passé.
À la limite de la caricature, le dessin de Luz capte la vérité des visages, le dégoût des bourreaux, l’humanité des victimes. Du grand art !
Deux filles nuesédité par Albin Michel
Autre époque, autre peintre…
Il y a dix ans, Julie Birmant et Clément Oubrerie achevaient le quatrième album de leur évocation de Picasso, sobrement intitulé Pablogrand succès public et critique. Le duo s’attaque désormais à cet autre monument de la peinture qu’est Salvador Dali. Après l’enfance et l’adolescence d’un garçon troublé, cette œuvre se concentre sur la figure de Gala, l’épouse de Paul Eluard, qu’elle quittera pour partager la folie amoureuse et créatrice de Dali.
Aller-retour entre Paris et Cadaquès, le village de pêcheurs de la Costa Brava où le surréaliste adepte de la paranoïa critique a passé la majeure partie de sa vie, la mise en scène de ce chapitre puise avec jubilation dans le corpus affolant d’images oniriques du maître catalan.
Dali, tome 2, édité par Dargaud.
