les pluies et les inondations minent la production agricole

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L’eau monte encore dans le champ voisin ce vendredi 3 mai. La ferme de Sébastien Mittard a les orteils qui nage dans le marais. Un alignement d’arbres suggère le cours de la Seugne, à quelques encablures. A trois reprises cet hiver, la rivière est venue inonder les bâtiments agricoles, au hameau de Courcion, à Berneuil, au sud de Saintes. Lors de la crue de décembre, « on ne voyait plus les enjeux sur le terrain », montre l’éleveur.


Une photo prise au même endroit en décembre 2023.

Sébastien Mittard

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5,42 mètres le 13 novembre 2023, 6,08 mètres le 17 décembre 2023 et 5,54 mètres le mercredi 6 mars 2024. Les crues de cet hiver ont connu trois pics à l’échelle du pont de Palissy et les Saintais avaient les pieds dans l’eau. Le changement climatique est-il en cause ? Pourquoi Saintes a-t-elle été construite en partie dans le lit du fleuve ? Faut-il repenser la ville ? « Sud Ouest » tente de répondre à ces questions.

Trente centimètres de plus, « et il y avait 80 vaches à déplacer. Ça ne se passe pas comme ça ! Nous avons commencé à demander autour de nous qui pouvait prendre des animaux. C’est effrayant quand on voit l’eau monter. Cette année, ça a été assez vite. » Sébastien Mittard se démène depuis trois ans pour construire un autre bâtiment qui servira de refuge en cas d’inondation. Le dossier vient d’être rendu public, “sur une poche de terrain non inondable”.

En décembre, l'eau était au niveau des stalles de ces vaches charolaises.


En décembre, l’eau était au niveau des stalles de ces vaches charolaises.

Laurent Jahier/SO

L'eau au pied de l'écurie au coeur de la crue de l'hiver 2023.


L’eau au pied de l’écurie au coeur de la crue de l’hiver 2023.

Sébastien Mittard

« Jamais vu ça »

Sébastien Mittard se souvient d’une hauteur de 76 centimètres dans la maison familiale lors de « l’inondation du siècle », en 1982. Mais des inondations à répétition entre octobre et avril, « même mon père, qui a 76 ans, n’a jamais vécu ça. » Et les conséquences sont graves pour l’exploitation de 300 hectares de terres et 110 de prairies. Réparties entre Berneuil, Les Gonds, La Jard et Thénac, environ 90 % des prairies sont restées pendant des mois sous les eaux de la Seugne ou de la Charente. « Cela enlève toute la qualité de l’herbe. Et au final, il n’en reste plus aucun. »

L'ensilage a été sérieusement endommagé par la montée des eaux. Nous avons dû nous réapprovisionner.


L’ensilage a été gravement endommagé par la montée des eaux. Nous avons dû nous réapprovisionner.

Laurent Jahier/SO

L'eau entourant l'ensilage.


L’eau entourant l’ensilage.

Sébastien Mittard

Les vaches ne pouvaient bien entendu pas brouter dans ces champs submergés. « Aujourd’hui, nous avons une vingtaine de vaches en extérieur, contre 50 à 60 à l’époque », évalue l’agriculteur. C’est autant de muselières qu’il faut nourrir dans la stalle. Et ce, alors que les terres inondées ne permettent plus la production de paille et de foin. « En général, nous sommes indépendants. Nous terminons la saison avec 200 bottes en stock », souligne le fils Hugo. Cette année, pour la première fois, « nous avons ordonné un semis de paille ».

Cultures de printemps

Cette goutte d’eau manquante alimente les spéculations et inquiète la profession. « On arrive à plus de 100 euros la tonne. C’est le prix du blé quand il est bas », constate Frank Michel, chargé des études économiques et prospectives à la chambre régionale d’agriculture.

L’impact des fortes pluies depuis octobre va bien au-delà de la question des inondations. Dans toute la Charente-Maritime, nous avons pu croiser des terres gonflées d’eau. Ici et là, le blé semé au début de l’hiver était noyé. « Soit ce n’est pas complètement ruiné, mais le potentiel de rendement s’en trouve affecté. Soit c’est foutu et il faut replanter autre chose», résume Frank Michel. La graine initiale qui n’a rien donné reste une perte sèche d’environ 150 euros par hectare.

Des champs où l'eau sort, l'image était visible partout en Charente-Maritime cet hiver.


Des champs où l’eau sort, l’image était visible partout en Charente-Maritime cet hiver.

Xavier Léoty/SO

Souvent, les tracteurs ne pouvaient tout simplement pas risquer leurs roues dans les champs. Tout cela se reflète dans les statistiques. « En Charente-Maritime, nous sommes passés de 88 700 hectares de blé en 2022 à 75 000 en 2023, soit 15 % de blé d’hiver en moins. La superficie en orge a perdu 19 %, passant de 19 800 à 16 000 hectares. » Les agriculteurs se tournent vers les cultures de printemps, le tournesol ou le maïs.

Du maïs qui ne peut souvent se passer d’irrigation. Même si l’eau est abondante aujourd’hui, la nature des sols de notre région ne la retient pas forcément, et nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle période de sécheresse, selon Frank Michel. De quoi donner du pain aux partisans des réserves de remplacement, qui préconisaient de stocker l’eau dans des bassins au plus fort des crues cet hiver.

Les vaches attrapent froid

Sébastien Mittard espère au moins bien faire à cet égard. « On pompe, mais de moins en moins. Et nous essayons de diversifier les cultures. » Il cultivera également un peu plus de maïs, de tournesol, de colza et aussi six hectares de soja, « pour la rotation et les points CAP ».

La famille Mittard a construit un bâtiment surélevé pour stocker la paille et le foin.


La famille Mittard a construit un bâtiment surélevé pour stocker la paille et le foin.

Laurent Jahier/SO

Il doit digérer d’autres répercussions. Arbres déracinés qui provoquent des dégâts et des embâcles. Les rats, blaireaux, renards et sangliers qui viennent visiter la ferme, repoussés par l’eau, avec des maladies dans leur pelage. Des vaches enrhumées… « Les maladies pulmonaires, c’est hallucinant… En 2021, on a perdu six veaux à 1 300 euros pièce comme ça. »

« On ne peut pas imaginer le marais sans animaux. Mes fils sont la cinquième génération », note Sébastien Mittard.


« On ne peut pas imaginer le marais sans animaux. Mes fils sont la cinquième génération », note Sébastien Mittard.

Laurent Jahier/SO

« Nous ne savons pas où nous allons mais nous y allons. Cela reste des années exceptionnelles »

L’exploitation familiale s’est agrandie à 120 vaches charolaises, car il y a deux fils à prendre la relève. « Nous ne savons pas où nous allons mais nous y allons. Cela reste des années exceptionnelles », veut croire l’agriculteur, même s’il est bien conscient que le changement climatique bouscule les habitudes. L’essentiel est là, autour : « Je suis né dans le marais. J’adore ça, mon marais. »

Juste à l'extérieur de Saintes, près du village de Saint-Sorlin, les récoltes ont été perdues à cause des inondations.


Juste à l’extérieur de Saintes, près du village de Saint-Sorlin, les récoltes ont été perdues à cause des inondations.

Philippe Ménard/SO

 
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