« L’homme baroque vit au second degré, il sait que ce monde est fait d’illusions »

La vision du nouveau directeur des Musées royaux des Beaux- : « Diversité »

Isabelle Douillet-de Pange, historienne de l’art spécialisée en art baroque et conservatrice à la Fondation Folon, nous guide à travers les collections Maîtres anciens des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, pour répondre à ce que l’art baroque nous donne à voir. Elle précise : « ilLa comparaison n’est pas une raison, l’histoire ne répète jamais les mêmes plats. Il est pourtant fascinant de s’y confronter pour réfléchir sur le présent. Cependant, recourir à la seule histoire me semble être une paresse intellectuelle qui nous empêche de voir la spécificité du présent. Nous devons tous deux montrer les similitudes, mais aussi les différences.

Des civilisations noyées dans les images

Nos régions, avec les villes d’Anvers et de Bruxelles, voient émerger des artistes baroques de premier plan. “LLa personnalité la plus folle de tous ces peintres, et qui incarne selon moi le baroque, est bien Pierre-Paul Rubens« .

Dans la salle dédiée à Rubens, avec « Le Martyre de Saint Liévin » en fond. ©Jean Luc Flémal

Imprégnée de l’essence baroque des œuvres qu’elle abrite, la salle dédiée à Rubens (1577-1640) captive le visiteur. Les toiles surdimensionnées s’imposent à nous, soutenues par la couleur rouge noble des murs rappelant la touche préférée du peintre. Isabelle Douillet-de Pange s’arrête devant The martyrdom of Saint Liévinimitant l’un des personnages.

« ÔIl voit Liévin se faire arracher la langue. Sa souffrance prend tout son sens lorsque l’on voit le ciel s’écarter. C’est la promesse du baroque : de ce grand théâtre qu’est le monde, le point pivot est la mort. C’est la mort qui nous permettra d’accéder au royaume de Dieu, où tout sera extraordinaire. Cette vision est fondamentalement différente de la nôtre, avec un capitalisme qui nous dit que la jouissance a lieu ici et maintenant. L’Église donne une promesse spirituelle à l’homme baroque, d’où cette exaltation de la mort.

Avant de quitter la salle, l’historien de l’art ajoute : « L’image atteint son paroxysme avec le baroque, et en quelque sorte noie tout : elle noie la critique, elle affirme la conviction, et enfin elle permet de ne pas se poser de questions. Par rapport à notre époque, qui est aussi une civilisation des images, je m’interroge : nous aussi, nous sommes noyés dans les images, alors quel effet cela a-t-il sur nous ?

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De la maîtrise à l’acceptation de la réalité

Le voyage se poursuit et voit une série de portraits qui se transforment au fil des mouvements artistiques et des différentes salles du musée. Corps hiératiques et attitudes se succèdent et se dissipent une fois atteinte la section d’Antoon van Dyck. Ce peintre (1599-1641), ayant travaillé dans l’atelier de Pierre-Paul Rubens, est connu pour avoir apporté une dimension supplémentaire à l’art du portrait, en parvenant à montrer non seulement la vie des personnes représentées, mais aussi en représentant leur noblesse et leur dignité.

L'art baroque au Musée des Beaux-Arts
Dans la section portraits, en face du « Portrait de Porzia Impériale et de sa fille Maria Francesca » du peintre Antoon van Dyck. ©Jean Luc Flémal

Isabelle Douillet-de Pange advances towards the Portrait de Portia Impériale et sa fille Maria Francescapointant la fille du doigt : «Quand on regarde son visage, elle est absolument vivante. Il y a à la fois la tendresse de ses joues, la malice dans ses yeux, la conscience qu’elle porte une belle robe et qu’elle est devant le clavecin de sa mère. Il y a une humanité dans ce tableau que je trouve extraordinaire.

Dans la maîtrise du portrait et de l’image, je me dis qu’il y a là aussi quelque chose qui ressemble un peu à notre époque. Aujourd’hui, avec le selfie par exemple, la maîtrise de notre image est totale. Je préfère me photographier plutôt que que ce soit quelqu’un d’autre qui m’interprète à sa manière. Pendant que j’étais là-bas, désignant les portraitson sent un premier contrat avec le peintre : peins-moi tel que je suis, mais quand même un peu mieux

L'art baroque au Musée des Beaux-Arts
«Quatre études de tête de Maure» de Peter-Paul Rubens. ©Jean Luc Flémal

Cette maîtrise baroque de l’image passe aussi par l’acceptation de la réalité, avec le désir de la représenter telle qu’elle est. “C’est un art où le regard accepte de voir.« On le voit chez Antoon van Dyck, mais aussi chez Rubens avec Quatre études de tête de Maure.

Le baroque est encore une période terriblement compliquée pour les Africains : on se demande comment Dieu a pu mettre une âme dans un corps noir. La réponse de Rubens est merveilleuse : il faut regarder le sujet par lui-même. L’humanité de cet Africain transparaît naturellement dans cette image, même si je ne pense pas que Rubens ait eu l’intention de faire quoi que ce soit de politique ou de philosophique. Il s’autorisa à contempler son modèle. Carnations, sourires, yeux, cheveux : on sent que le peintre était passionné par son sujet et n’a pas mis de filtre entre lui et sa représentation. C’est pour moi une œuvre majeure dans l’histoire de la peinture, dans cette appropriation du réel.

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La Comédie humaine de Jordaens

L'art baroque au Musée des Beaux-Arts
Dans la section consacrée au peintre Jacques Jordaens, en face de « Suzanne et les vieillards ». ©Jean Luc Flémal

Nous sommes là à la limite de ce que nous, hommes et femmes du XXIe siècle, pouvons voir.», s’exclame Isabelle Douillet-de Pange en arrivant dans la salle dédiée à Jacques Jordaens (1593-1678). Elle décrit le peintre comme le prototype de l’homme baroque : «Il se sépare de ses compatriotes (Pierre-Paul Rubens et Antoine van Dyck, NDLR) en devenant le champion de la comédie humaine

Parement Suzanne et les vieillards, Le satyre et le paysanou même L’allégorie de la Fertilité de la terreles traits idéalisés de la Renaissance sont oubliés. Corps charnus, cellulite et peau ridée, »il y a l’idée de s’approprier la réalité telle qu’elle est, au point de nous montrer des choses qui nous repoussent, mais qui sont totalement acceptées.

Pour Jacques Jordaens, on peut tout faire : cette vie n’a pas beaucoup d’importance, alors rions et regardons cette comédie humaine. La vie est un rêve dont la mort est le réveil. La vie est un grand théâtre. L’homme baroque vit au second degré, il sait que ce monde est fait d’illusions, donc il ne le prend pas au sérieux et s’en amuse.

L'art baroque au Musée des Beaux-Arts
Discussion devant « Allégorie de la fertilité de la Terre » de Jacques Jordaens. ©Jean Luc Flémal

Nous sommes très loin de nos sensibilités modernes. Mais il y a quand même, dans ces images qui ne se veulent pas parfaites, cette ambition un peu perverse de vouloir rendre compte du réel, alors qu’elles montrent autre chose. On est toujours dans cette ambivalence, l’image reflète-t-elle complètement la réalité ?

 
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