C’est ce vendredi que Levana Ballouz, accusé sous le nom de Mohamed Al Ballouz, sera condamné à la prison à vie pour les meurtres de sa femme et de leurs fils. Au cours du procès, elle a été parfois qualifiée de masculine, parfois de féminine. Cette situation inhabituelle a soulevé de nombreuses questions parmi nos lecteurs. Quelques clés de compréhension.
Pourquoi son prénom masculin a-t-il été utilisé lors du procès ?
Car c’est sous son nom masculin que Mohamed Al Ballouz (également Mohamad) a été accusé des meurtres de sa compagne et de leurs enfants en septembre 2022. Mais comme elle s’est identifiée comme une femme lors de la procédure judiciaire, le juge, les avocats et les autorités pénitentiaires considèrent elle est une femme. Au cours du procès, cependant, le genre masculin a été souvent utilisé, puisque c’est « Mohammed », avec l’apparence d’un homme, qui a commis les meurtres. «Il ne s’agit pas de manquer de respect ou de choquer, mais d’évoquer la perception des témoins», a expliqué le procureur de la Couronne au jury.
L’accusé a-t-il parlé de son identité de genre ?
Oui. Au cours du procès, l’accusée a insisté sur le fait qu’elle était Mmoi Levana Ballouz et que tout le monde devait s’adresser à elle au féminin. Portant une perruque blonde, elle était toujours habillée de manière féminine. Mercredi dernier, elle a insisté sur le fait qu’elle était une femme, une mère et même une « maman footballeuse ». « J’ai le droit d’être en harmonie avec mon identité de genre, en harmonie avec mon corps et en harmonie avec ma sexualité pour refléter moi-même et mon identité de genre comme je l’entends. J’ai le droit d’être moi. Tout simplement, dit-elle d’une voix douce.
Où en est Al Ballouz dans sa transition de genre ?
Nous l’ignorons. Peu de détails ont été divulgués à ce sujet, étant donné que son identité de genre n’a aucun lien avec les crimes. Cependant, nous savons qu’elle a entamé la procédure judiciaire pour modifier son identité de genre et changer officiellement son nom en Levana Ballouz. On sait également qu’elle est détenue à la prison provinciale pour femmes de Leclerc depuis qu’elle s’est identifiée comme femme. Elle s’est également plainte de ses conditions de détention avant le procès.
Va-t-elle purger le reste de sa peine dans un pénitencier pour femmes ?
L’avocate pénitentiaire Alexandra Paquette, qui représente certaines détenues transgenres, croit qu’elle sera transférée au pénitencier pour femmes de Joliette pour purger le reste de sa peine. “Nous n’avons aucune information contraire”, a déclaré l’avocat, qui a eu des contacts avec M.moi Ballouz à ce sujet. En vertu d’une politique adoptée en mai 2022 par le Service correctionnel du Canada (SCC), tous les délinquants peuvent être incarcérés, selon leur préférence, dans un établissement pour hommes ou pour femmes, quel que soit leur sexe à la naissance. Les autorités pénitentiaires ne peuvent refuser un transfert que si « des problèmes majeurs de santé ou de sécurité ne peuvent être résolus », indique la politique. « Dans le cas de M.moi Ballouz, je ne vois pas comment on pourrait appliquer cette exception, sachant qu’elle est déjà en prison [provinciale] pour les femmes », déclare Me Paquette.
Y a-t-il de nombreux criminels transgenres transférés vers des établissements pour femmes ?
« Il y a plus de demandes refusées que de demandes acceptées », précise M.e Paquette. Le SCC affirme que les détenus « de genres divers » représentent 0,4 % de l’ensemble de la population carcérale. De 2017 à 2022, le SCC a reçu 57 demandes de transfèrement, principalement de femmes transgenres vers des prisons pour femmes. Seules 12 de ces demandes ont été acceptées. D’après M.e Paquette, c’est lors de l’évaluation de la cote de sécurité des détenus que la plupart des transferts sont refusés.
«Dès qu’on est face à une personne reconnue coupable de crimes de violence conjugale et d’agression sexuelle contre des femmes, le Service correctionnel applique l’exception», indique M.e Paquette. Des cas de féminicide, comme celui de Mmoi Ballouz, sont cependant traités différemment, « car le risque de récidive est quasiment nul », précise M.e Paquette. Selon une étude du SCC de 2019, 23 % des délinquants incarcérés dans les pénitenciers en 2011-2012 pour des crimes violents ont récidivé trois ans après la fin de leur peine, mais 60 % de ces nouvelles infractions étaient de moindre gravité.
A noter que la Couronne réclame une peine sévère pour le meurtre de Synthia Bussières en raison notamment du contexte de violences conjugales.
Avons-nous une idée du profil des détenus transgenres dans les prisons fédérales ?
Un rapport du Service correctionnel publié en 2022 indique qu’un tiers des détenus de genres divers dans les pénitenciers fédéraux avaient des antécédents d’infractions sexuelles. Dans huit cas sur dix (80 %), il s’agissait d’hommes désormais identifiés comme femmes, qui ont commis leur crime tout en vivant selon une identité de genre masculine. Parmi ces délinquants, 85 % avaient commis des infractions ayant causé la mort ou des blessures graves à leurs victimes. Plus de la moitié de leurs victimes étaient des enfants (58 %) ou des femmes (55 %).
Pour quoi La presse Parle-t-elle de l’accusé au féminin ?
Lors du procès, les lecteurs ont remis en question le choix de La presse utiliser le genre féminin pour parler de l’accusé. L’acte d’accusation nomme Mohamed Al Ballouz car l’accusé s’est identifié comme un homme au moment des crimes. Mais lors du procès, les acteurs judiciaires se sont adressés à l’accusée au féminin, puisqu’elle s’identifie désormais comme étant Levana Ballouz. Ballouz est détenue dans une prison pour femmes et a entamé une procédure judiciaire pour changer son identité de genre. La presse a pour politique de ne pas « abuser du genre », c’est-à-dire d’utiliser un genre dans lequel la personne en question ne se reconnaît pas. « Une femme trans est donc une femme et un homme trans est un homme », affirme notre politique en la matière. C’est pour ces raisons que nous avons choisi de parler de l’accusée au féminin, tout en rappelant qu’au moment des meurtres, elle était bien Mohamed Al Ballouz, père et conjoint des victimes, puisque c’est ainsi qu’elle s’est alors identifiée.
François Cardinal, vice-président à l’information et rédacteur adjoint du La presse