L’économie russe manque d’un million d’employés, plombée par des taux d’intérêt très élevés, tandis que le rouble s’effondre.
Vladimir Poutine à Moscou, Russie, le 16 décembre 2024. (POOL/SERGEI KARPUKHIN)
Après trois ans de sanctions occidentales et de guerre en Ukraine, les difficultés se multiplient pour l’économie russe, malgré l’optimisme affiché par Vladimir Poutine
Dernier revers, la semaine dernière :
l’inflation s’est accélérée à 8,9% en novembre
restant sourde aux efforts de la Banque centrale de Russie (BCR) qui a relevé en octobre son taux directeur à 21% – du jamais vu depuis 2003 – pour tenter de l’influencer. La presse russe, habituellement prompte, comme le Kremlin, à
se vanter de la résilience de l’économie nationale
fait désormais écho à des problèmes croissants, illustrés par exemple par la hausse du prix du beurre (+34% depuis janvier).
Pour Anton Tabakh, économiste en chef de l’agence de notation russe Expert RA, la « vague inflationniste » observée est le symptôme de « la pénurie de main d’œuvre et des sanctions », deux problèmes directement liés à la guerre.
Le manque de travailleurs dans le secteur privé, une réalité
depuis des années, notamment en raison de la crise démographique, a été exacerbée par le départ de centaines de milliers d’hommes vers le front, la fuite à l’étranger de centaines de milliers d’autres et la concurrence du complexe militaro-industriel qui a besoin de bras pour augmenter les taux de production d’armes. Cette réalité « ralentit la croissance », a-t-il déclaré au
AFP
Yevgeni Nadorshin, un économiste russe qui était conseiller au ministère du Développement économique et selon qui
Il manque à la Russie « environ un million d’employés ».
L’inflation est favorisée par la politique budgétaire de l’État russe, qui dépense sans compter pour soutenir son effort de guerre (+67,5% budgétisés en 2025 par rapport à 2021).
Jusqu’à 30% de taux d’intérêt
La patronne de la BCR, Elvira Nabioullina, qui veut éviter que « la maladie » de l’inflation « ne devienne chronique », pourrait même décider de
une nouvelle hausse du taux directeur vendredi
même si cette possibilité a déjà suscité un tollé chez les grands patrons. Au plus haut depuis 20 ans,
les taux d’intérêt des prêts à la consommation et aux entreprises se situent entre 25 et 30 %.
« L’économie ne peut pas survivre longtemps ainsi », a déclaré début décembre German Gref, PDG de la principale banque russe, la SberBank, faisant état de « signes significatifs de ralentissement » de l’économie.
Même le chef du conglomérat militaro-industriel Rostec, Sergueï Tchemezov, proche de Vladimir Poutine, a décrit
« folie » le niveau des taux d’intérêt
tandis que les Chemins de fer russes (RZD) réduiront leurs investissements d’environ 40 % en 2025 par rapport à l’année en cours.
« Le nombre de faillites est sur le point d’augmenter fortement
surtout dans les petites et moyennes entreprises, mais aussi dans les grandes », prévient Evgueni Nadorchine, prédisant que les entreprises ne pourront plus rembourser leurs emprunts.
Face à ces vents contraires, la Banque Centrale anticipe 2025
une décélération prononcée de la croissance du PIB
attendu entre 0,5 et 1,5%, contre plus de 3,5% prévus pour la fin de l’année. Pour Evguéni Nadorchine, « l’indisponibilité du crédit va immédiatement limiter les possibilités de croissance ». Au point de voir à terme émerger un cycle de stagflation (faible croissance et forte inflation) ? «Non», écarte le BCR.
Dans le même -, ces dernières semaines, la monnaie russe s’est affaiblie, conséquence des récentes sanctions américaines visant Gazprombank, qui gérait jusqu’à présent tous les paiements des clients étrangers achetant du gaz russe.
La monnaie russe est au plus bas face au dollar et à l’euro depuis mars 2022
le billet vert s’échange actuellement à plus de 100 roubles, menaçant ainsi encore davantage le pouvoir d’achat des Russes.
Cependant,
il n’y a « aucune raison de paniquer », selon Vladimir Poutine
. Le président russe mise sur un déficit budgétaire fédéral très faible, une augmentation des revenus non pétroliers et l’arrivée massive d’investisseurs chinois pour remplacer les investisseurs occidentaux.
Dans cette grisaille, une chose semble claire : l’avenir de l’économie russe dépendra largement de l’issue du conflit en Ukraine, sur fond de spéculations sur l’éventuel lancement d’un processus de paix avec Kiev.