« L’accès à la télévision généraliste est aussi un droit du citoyen »

« L’accès à la télévision généraliste est aussi un droit du citoyen »
« L’accès à la télévision généraliste est aussi un droit du citoyen »

Karim Ibourki, comment décririez-vous l’apparition de Netflix en Belgique en septembre 2014 ? « Big bang » ? Révolution ?

Concernant la Belgique, je ne parlerais pas de « big bang », car nous avions déjà un marché dense, concurrentiel et varié, grâce à la présence du câble dans 99 % des foyers, et des acteurs familiers des services à la demande comme Canal +, puis Be . C’était très différent en , où l’on est passé plus violemment de la « télévision de papa », terrestre, analogique, à la TNT, puis aux plateformes de streaming. Ce qui est indiscutable, en revanche, c’est que Netflix a accéléré ce mouvement : la concurrence s’est accrue, principalement dans les domaines de la fiction et, plus récemment, du sport, puisqu’on a vu de grands acteurs comme Facebook acquérir des droits sportifs aux États-Unis, ou Amazon retransmettre certains matchs en soirée, à Roland Garros. Eurosport a aussi intégré l’offre de HBO, avec des événements également diffusés en direct, comme les Jeux olympiques. C’est sans doute l’un des chantiers les plus importants des années à venir pour tous ces streamers. On voit en revanche que la télévision linéaire reste incontournable en matière d’information. Alors oui, l’arrivée de Netflix a changé beaucoup de choses, d’autant que tout cela s’est passé en seulement dix ans, mais pour la Belgique, je parlerais plus d’une évolution que d’une révolution, et certainement pas d’un « big bang ».

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Si TF1 commet une infraction, nous transmettrons le dossier à l’Arcom, l’ex-CSA français. Si la même chose se produit avec Google, nous en informerons le régulateur irlandais.

En tant que CSA ? Quelle est votre relation avec Netflix et les autres streamers ? On a parfois l’impression que vous êtes un peu impuissant face à ces géants…

Impuissants ? Non. Car on peut s’appuyer sur la législation européenne, et ce fameux décret SMA (pour « Services de médias audiovisuels »), appliqué en Belgique, et qui impose par exemple à Netflix et consorts d’investir une partie de leur chiffre d’affaires dans la production locale (NDLR : une obligation contestée actuellement par Netflix). C’est un système vertueux, qui permet de soutenir la création, et d’établir une équité avec les autres acteurs du secteur audiovisuel qui contribuent depuis longtemps à cette enveloppe.

Roland Garros (ici notre compatriote Zizou Bergs) est l’un des premiers événements sportifs à avoir été diffusé en direct par une plateforme de streaming. ©BENOIT DOPPAGNE

Mais êtes-vous réellement en mesure d’intervenir lorsque Netflix, Prime ou Disney+ violent les réglementations en matière de contenu ou de publicité ?

Là encore, la législation européenne nous le permet, mais cela a demandé beaucoup d’adaptation et de coordination, car le siège de toutes ces entreprises ne se situe pas en Belgique. Nous fonctionnons de la même manière que pour TF1 par exemple : si une infraction à la législation est constatée, nous soumettons un dossier à l’Arcom (l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), l’ex-CSA français, avec qui nous avons un protocole d’accord. Si la même chose se produit avec Google, nous avertirons le régulateur irlandais (le siège européen de Google est à Dublin). Et s’il s’agit de Netflix, nous verrons avec nos collègues néerlandais.

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Il n’est pas rare que la facture finale s’élève à environ 100 € ou plus pour le consommateur alors qu’il a également payé ses deux ou trois abonnements à des plateformes de streaming ou d’écoute. Et 100 €, ce n’est pas rien pour de nombreux ménages. Le législateur doit être attentif à cette évolution.

C’est une gymnastique célèbre…

Pas vraiment, et c’est toujours le cas : il y a des initiatives qui viennent du marché, et il faut s’adapter. Mais ce système a déjà prouvé son efficacité, et il nous permet de réagir rapidement si jamais une publicité pour l’alcool devait être proposée dans le cadre, par exemple, de programmes pour enfants.

Google, un acteur européen pas comme les autres

Cependant, tous ces nouveaux acteurs vous obligent, par conséquent, à surveiller beaucoup plus de programmes : comment rester vigilant sur tout ?

C’est un défi majeur auquel tous les régulateurs européens sont aujourd’hui confrontés. Il est certain qu’avec les plateformes de streaming, mais aussi les web TV et les web radios, notre monde est bien plus vaste qu’il y a 7 ou 8 ans : tout a changé. Mais, d’un côté, toutes ces grandes entreprises sont, en général, très légalistes et entendent respecter les règles. Cela dépend cependant des règles elles-mêmes (il sourit) et il peut y avoir, comme on le voit actuellement avec Netflix, des désaccords sur ces textes et leur application. De l’autre côté, nous pourrions nous aussi utiliser des outils comme l’intelligence artificielle pour nous accompagner dans nos missions : elle n’est pas réservée uniquement au secteur privé, et si elle peut nous permettre de contrôler et de réguler un plus grand nombre d’acteurs, il ne faudra pas hésiter à l’utiliser.

Le grand perdant de cette transformation du paysage audiovisuel n’est-il pas, en définitive, le consommateur ? Les prix initialement bas pratiqués par les plateformes ont progressivement gonflé…

Oui, et cela doit inquiéter, notamment les législateurs : dans un pays où le « triple play » (NDLR : le fameux combo internet-télévision-téléphone) reste très populaire, il n’est pas rare que la facture finale s’élève à environ 100 € ou plus pour le consommateur quand il a également payé ses deux ou trois abonnements à des plateformes de streaming ou d’écoute, comme Deezer ou Spotify. Et 100 €, ce n’est pas rien pour de nombreux foyers. Le budget consacré à la télévision, qu’elle soit linéaire ou non, a donc beaucoup augmenté depuis l’apparition de Netflix, Prime Video et consorts.

Service de streaming Netflix.
La télévision est-elle plus chère depuis l’avènement des plateformes de streaming ? La question n’est pas aussi naïve qu’il y paraît… ©Adobe Stock – Morad HEGUI

N’y a-t-il pas aussi un risque d’isoler le téléspectateur qui n’aurait pas les moyens de souscrire tous ces abonnements ?

Vous avez raison, et pour le législateur, encore une fois, il faudra être très attentif à ces questions : ceux qui choisissent de ne regarder que la télévision linéaire doivent toujours avoir accès à une grande variété de programmes car, comme l’accès au téléphone ou à internet, l’accès à une télévision de qualité et à des chaînes généralistes est, à mon avis, un droit du citoyen.

 
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