Un vote de confiance perdu, une dissolution du Parlement, des élections anticipées, un chef de gouvernement affaibli… Bienvenue, non pas en France, mais en Allemagne.
Après le limogeage de son ministre des Finances ayant entraîné l’implosion de sa fragile coalition gouvernementale, le 6 novembre 2024, le chancelier Olaf Scholz a demandé un vote de confiance aux députés allemands le 16 décembre 2024. Un vote qu’il a perdu, obligeant le président de la République Frank-Walter Steinmeier de fixer des élections législatives anticipées au 23 février 2025.
Notre voisin européen traverse donc lui aussi une période d’instabilité. Avec une autre similitude : la montée de l’extrême droite dans le jeu politique. Cette dernière est incarnée par le parti AfD, dirigé par Alice Weidel. Il est crédité de 20% d’intention de vote. Un record pour l’extrême droite allemande qui, il y a tout juste dix ans, était loin de jouer dans la cour des grands.
En 2015, la crise des réfugiés a été un tremplin
“Depuis 1949, et jusque dans les années 2010, l’extrême droite est restée très marginale en Allemagne, confie Martin Baloge, chercheur en sciences politiques à l’Université catholique de Lille et auteur du livre La politique en Allemagne (La Découverte editions). En revanche, lorsqu’il est arrivé au Bundestag, le parlement allemand, il l’a fait massivement, avec près de 90 députés, devenant ainsi le premier parti d’opposition. »
Comment l’expliquer ? « En 2015, au moment de la crise des réfugiés, Angela Merkel a pris une décision extrêmement courageuse et ambitieuse, celle d’accueillir environ un million de réfugiés du Moyen-Orient, notamment de Syrie. Et comme toute mesure ambitieuse, elle divise et génère beaucoup de tensions. Et personne à droite ne parvient à critiquer cette décision. Il y a un besoin d’air, et l’AfD en profite pour capter un électorat qui n’a personne d’autre pour s’exprimer. »
Dix ans plus tard, l’AfD, qui était à l’origine un parti « des universitaires de droite libérale, concentrés sur les questions européennes », est devenu un mouvement anti-immigration, anti-islam, avec un discours radical, qui ne cesse de prendre de l’ampleur. « Nous observons actuellement un mouvement réactionnaire et xénophobe aux États-Unis et en Europe. On le voit bien en France, en Italie, en Autriche. Ce contexte est favorable à l’AfD”poursuit Martin Baloge Sans oublier que la coalition actuelle est impopulaire, accusée d’être déconnectée de la population.
Néanmoins, la montée de l’extrême droite en Allemagne a pu surprendre plus d’un spécialiste. “L’Allemagne est un peu une exception, avance Martin Baloge. C’est un pays qui a vécu une histoire tragique, sur laquelle il a mené un travail de mémoire. La Constitution allemande repose sur l’idée qu’elle doit être protégée de ses ennemis, et l’AfD peut être considérée comme un ennemi dans la mesure où elle menace certains principes fondamentaux de la Constitution allemande. De ce point de vue, l’Allemagne parvient depuis des décennies à contrer les mouvements d’extrême droite, notamment grâce à une culture du compromis qui rassemble des partis assez puissants. »
Cordon sanitaire
La culture du compromis, justement, permet de comprendre comment fonctionne le système politique allemand, contrairement au nôtre. Les grandes coalitions sont monnaie courante en Allemagne. Celui qui vient d’exploser était composé des sociaux-démocrates (SPD, le parti de la chancelière), des Verts et des libéraux (FDP, le parti du ministre limogé).
La CDU, la droite chrétienne, parti de l’ancienne chancelière Angela Merkel, pourrait retrouver le pouvoir grâce à des élections anticipées, étant créditée de 30% des intentions de vote dans les sondages. La culture allemande du compromis fonctionnera à nouveau dans ce contexte pour contrecarrer les ambitions de l’extrême droite, malgré sa popularité.
“Il n’y a aucune chance que l’AfD gouverne avec d’autres partis”, confirme Martin Balogeet notamment avec la CDU, il y aura un cordon santé idéologique ». Contrairement au Rassemblement national en France, qui a engagé un processus de normalisation, l’AfD n’en est pas encore là et joue de sa radicalité.
«La question qui se pose n’est pas tant de savoir si l’AfD gouvernera avec d’autres partis, mais plutôt de savoir si d’autres partis reprendront ses idées.» observe Martin Baloge. Il compare ainsi la situation avec le mandat de Nicolas Sarkozy, qui avait repris les idées du FN pour y contrer. Le candidat CDU Friedrich Merz, de ligne très à droite, «donne des assurances aux électeurs de l’AfD pour les maintenir dans le giron de la CDU».
-Mais si les extrêmes réussissaient un jour, comme en Autriche où ils s’apprêtent à entrer au gouvernement, à accéder au pouvoir, c’est l’Union européenne qui en souffrirait particulièrement. « C’est un scénario qui a peu de chances de se produire. Mais oui, ce serait catastrophique. »
Alors qu’un meeting de campagne du parti AFD avec la candidate à la chancelière Alice Weidel se tient samedi 25 janvier à Halle-sur-Saale, en Allemagne, une grande manifestation nocturne contre l’extrême droite est prévue à Berlin.
points de repère
Le programme AfD en termes généraux
Le programme de l’AfD est « extrêmement radical », décrit Martin Baloge. Pour les élections de 2025, le parti, xénophobe et réactionnaire qui s’oppose vigoureusement à l’islam, prône la fin de l’immigration. « L’Allemagne est un pays vieillissant qui a besoin de main-d’œuvre étrangère. On se demande comment l’AfD peut résoudre cette équation. »
Sur le plan économique, l’AfD propose un programme néolibéral. « Un programme qui veut réduire, voire supprimer complètement, certains impôts, notamment ceux qui touchent les entreprises et les classes supérieures. Ce sont les classes moyennes et populaires qui devraient supporter les charges supplémentaires qui pèseraient sur le budget allemand, car dans le même temps, l’AFD veut assurer un taux de retraite autour de 70 %, ce qui est très élevé. »
Le soutien d’Elon Musk
Comme beaucoup d’autres partis politiques européens d’extrême droite, l’AfD est soutenue par le milliardaire Elon Musk, proche de Donald Trump, qui n’hésite pas à le féliciter sur X, le réseau social dont il est propriétaire. Jeudi 9 janvier, il a même discuté en direct avec Alice Weidel, la patronne de l’AfD, pendant une heure et quart, offrant une visibilité inespérée à cette dernière.
«On imagine tout à fait que X, à travers ses algorithmes, pourrait profiter à l’AfD, qui est l’un des partis les plus actifs sur les réseaux sociaux et qui réalise ses meilleurs scores auprès des jeunes. »
Car Elon Musk et l’AfD ont un « ennemi commun » selon Martin Baloge : l’Union européenne. Une UE dont les lois et les normes représentent une menace pour ses intérêts économiques. Elon Musk n’hésite donc pas à mouiller sa chemise.
Une influence à prendre au sérieux, d’autant que « Musk aurait pu se contenter de faire fonctionner l’effet X, mais il va plus loin en soutenant l’AfD, lui offrant une sorte de légitimité. Nous ne devons pas sous-estimer les effets que les grandes plateformes peuvent avoir sur les élections futures. Nos gouvernements doivent prendre ces questions très au sérieux.