Le batteur liégeois Antoine Pierre avec Vaague à l’Eurosonic 2025. Photo Siese Veenstra
Vendredi 17 janvier, 0h20. Le Liégeois Antoine Pierre Monte sur la scène du Théâtre AA, espace culturel d’un autre âge, à Groningue, mariant programmation pointue et activités paroissiales. Batteur de la formation Jazz Taxiwars lancée par Tom Barman (Deus) et le saxophoniste Robin Verheyen, Antoine Pierre multiplie les projets solos. En cette nuit glaciale, il présente « Oktopus mekaniks », son album bébé de Vaague publié le 24 octobre en numérique et disponible en vinyle sur le label Flak Records le 22 février.
VAAGUE est une batterie impressionnante et un logiciel astucieux répondant au nom de SENSORY PERCUSSION qui génère des sons live en direct. Un pacte non écrit entre acoustique et électronique. Une fusion bouillante entre la virtuosité humaine et l’impulsion des samples. La science du rythme d’Antoine Pierre, son jeu à la fois inspiré et énergique, son esprit d’aventure et son sourire communicatif sont d’accord. Un couple d’étudiants de l’Université de Groningue Danse devant nous. A nos côtés, les programmateurs de festivals aux allures de hipsters (barbe, chapeau, look flamboyant de celui qui a tout vu) encodent sur leur iPhone 16 pro de précieuses données dans la boite »VAAGUE, Belgique». En quarante minutes, l’artiste liégeois nous a fait oublier la brume humide et le vent du nord pour nous emmener sur les chemins de la Musique de demain. Nous y retournerons le 10 mai au Uhoda Jazz Festival, à Liège et le 9 juin au Jazz Middelheim.
L’union fait la force
VAAGUE fait partie des dix-huit projets émergents belges qui ont été présentés à Groningue du mercredi 15 janvier au vendredi 17 janvier, dans le cadre de la 39ème édition de l’Eurosonic. Parmi les plus importants commissaires de talents musicaux européens, ce festival vitrine a réuni 333 artistes/groupes venus de 33 pays. Ses précédentes éditions révélaient notamment Dua Lipa (en 2013, voir ci-dessous), Fontaines DC, Stromae, Angèle ou encore Zaho de Sagazan, gros sentiment de l’édition 2024. Les professionnels du secteur ne s’y trompent pas. Cette année, ils étaient plus de 4.000 à grossir la population du « Martini Stad », surnom donné à la ville néerlandaise pour sa tour Martini plantée au milieu de la Groote Markt. Du Dour Festival aux Ardentes, en passant par Rock Werchter, Fifty Lab, Botanique, Ancienne Belgique ou OM de Seraing, les principaux programmateurs de concerts et festivals belges ont fait le déplacement.
Une étape essentielle
“Avec ses dix-huit projets artistiques et ses 230 professionnels accrédités, la délégation belge est l’une des plus importantes de cette édition. C’est moins que l’Angleterre, mais plus que la Francese réjouit Julien Fournier, directeur de Wallonie-Bruxelles Musique, organisme chargé de promouvoir les artistes de la Fédération. Plusieurs festivals vitrines sont organisés en Europe, mais l’Eurosonic reste incontournable. Il est le premier à avoir pris une telle initiative. Il a une histoire rythmée par de grands noms. Il bénéficie du soutien des organismes européens et une sélection rigoureuse est faite par de vrais mélomanes. Les jeunes artistes programmés à Eurosonic bénéficient d’une reconnaissance et d’une validation bien plus forte qu’ailleurs. »
Chez Eurosonic, l’union fait la force. Des artistes bruxellois, wallons et flamands sont réunis au sein des Benne Belgium Booms. “” “Pour la plupart des événements internationaux, nous travaillons en étroite collaboration avec Vibe, notre équivalent flamand, précise le directeur de WBM qui a soutenu 420 projets artistiques en 2024. Cette collaboration avait du sens. La scène hip-hop est très forte en fédération, les Flamands sont plus réputés pour le rock. Les artistes francophones ciblent le marché français, les Flamands se tournent plutôt vers l’Angleterre. Nous sommes complémentaires et pouvons mettre en commun nos expériences et nos réseaux de contacts communs.»
L’avenir est dans la niche
Colt à l’Eurosonic 2025. Crédit Ben Houdij/Eurosonic.
Hormis quelques exceptions pop (Angèle en 2018, le duo Colt qui a fait bonne impression ce mercredi 15 en ouverture d’un festival), les artistes belges sélectionnés à l’Eurosonic sortent des sentiers battus du mainstream. “” “Nous sommes conscients que la Belgique est appréciée à l’étranger pour la diversité, la pertinence et l’approche « do it yourself » de ses projets alternatifs. On regardera beaucoup dans les niches jazz, électro, rock, métal, hip-hop… A Groningue, nous mettrons en avant des artistes qui contestent les premières notes jouées : tu aimes le truc ou tu n’aimes pas du tout, mais tu te rends compte qu’il n’existe pas ailleurs. Nous n’avons pas non plus les moyens financiers de rivaliser avec la France ou l’Angleterre sur leur propre territoire avec des choses qu’elles produisent déjà. Parmi nos meilleurs succès à exporter ces dernières années, on peut citer la jungle, avalanche kaito et la vague instrumentale néo-jazz (tukan, echt!, Stuff…)… on constate aussi une disparité entre les succès belges à exporter et ce qui se passe avec nous. Ce ne sont pas toujours les artistes les plus visibles de la fédération qui suscitent l’intérêt hors de nos frontières.»
Favoris des moustiques
Aux côtés de Vaague et de l’Impériale Sylvie Kreusch, nous ne sommes pas les seuls à avoir été envoûtés par la prestation de Martha Da’ro. La chanteuse et actrice belgo-anglaise (on l’a vue en 2015 dans Noir De Adil El Arbi et Bilall Fallah) continue sur sa lancée après son premier album « Philhhiobia ». Sur scène, elle réinvente le soul/jazz/électro avec une poésie lascive, des chorégraphies sensuelles, des percussions et de grosses infrabasses. Imaginez le croisement entre l’inspiration soul de Macy Gray et la pop tribale de Mia
-Quelques heures après avoir vidé des bières artisanales au Drink organisé par Belgium Booms, le duo Doodeskader investissait la scène du club Underground Mutua Fides. DOODSESKADER (« Escadron de la mort » en néerlandais), c’est la rencontre du batteur Moustachu -Tim de Gieter (du groupe Amenra) et du bassiste dans le match Sigfried Burroughs. La paire envoie du lourd et rien que du lourd. Minimum de moyens, maximum de bruit pour une efficacité métal redoutable qui n’oublie pas les emprunts au hip-hop hardcore.
Marcel et Eden Hazard
Déjà présent en 2024 et nommé aux Music Moves Europe Awards 2025, le bruxellois James de Graef, alias Loverman, a profité de l’acoustique naturelle de l’église de Nieuwe Kerk pour présenter sa nouvelle formule scénique en piano/voix. Son passage à Groningue l’année dernière lui avait permis de se produire dans huit festivals européens. Ici, il est prêt à conquérir les pièces intimes et les anges. Autre endroit, autre ambiance. C’est dans une salle de billard que Marcel a offert l’un des concerts les plus sautillants du festival. Le combo post-punk liégeois a sorti en février son deuxième album « ô Fornaiz » sur le label Luik Records. Un disque enregistré et mixé au sol par Ben Hampson (Lambrini Girls) dans une ancienne boulangerie de Sprimont. Avec des titres comme Spirit of Eden Hazard Kicking, pop dégénérée ou Saint Glin Glin, On vous laisse imaginer le bazar. Mais derrière les vannes et l’attitude »Va te faire foutre», Les Gugusses savent jouer, maintenir le cap malgré les problèmes techniques et faire tourner des bananes à toute l’audience. Que demander de plus ? A voir et à revoir le 21/3 à Rockerill (Charleroi), le 29/3 à l’entrepôt (Arlon), le 11/4 au Botanique (Release Party) et encore le 18/5 à (x) (Nuits) Botanical.
Pourquoi l’Œil ?
Un dernier ovni pour la route ? C’est avec le collectif bruxellois pourquoi l’oeil ? que nous avons clôturé cette 39ème édition. Né dans le cadre de la Zinneke Parade, Why The Eye ? est un nouvel exemple de surréalisme »au Belge » cela plaît tellement à l’étranger. Ou quatre howrts masqués jouant sur des instruments faits maison. Un stoemp concocté avec des morceaux aux arrangements Zarbi, des textes »qui raconte n’importe quoi», D’électro fusion tribale et de casquettes low-hawk. Bien vu les kets.
Sylvie Kreusch
Fille occidentale
Sylvie Kreusch. Sony
Sylvie Kreusch connaît bien l’Eurosonic pour avoir déjà présenté “Montbray” en 2022. De retour à Groningue mercredi dernier, deux mois après la sortie de son deuxième album “Comic Tip”, la chanteuse belge était détendue. “” “On me dit qu’un passage à l’Eurosonic est important pour mon projet artistique, mais j’essaie d’échapper à cette pression. L’Eurosonic n’est pas une compétition. C’est un festival où l’ambiance est musicale, avec des concerts partout dans la ville. Tous les artistes présents caressent le même rêve : donner un bon concert et espérer que les gens ne les oublient pas.»
En quarante minutes d’un show glamour, intense et déjà bien rodé, Sylvie Kreusch et son groupe (trois filles, trois garçons) ont marqué les esprits. A la croisée de l’enfance, du western et du comics, « Comic Trip » est un album pop rétrofuturiste où l’artiste se révèle naturel, contrastant avec l’esthétique léchée de ses débuts. “” “Tout ce que j’entreprends aujourd’hui m’éloigne de l’image de «femme fatale« Que j’avais au début de ma carrière solo. J’ai acquis de l’expérience, changé mon mode de vie et j’ai plus de confiance pour me montrer tel que je suis.» Son look androgyne et la couleur de ses cheveux (blonds sur la couverture, roux pour Groningue) font aussi référence au Bowie de l’époque « Station/Low Station ». “” “Mon influence ultime. J’aime son côté caméléon et sa façon de mener ses projets en prenant en compte toutes les disciplines : musique, vidéo, photo, théâtre.. « Le monde de l’enfance et les onomatopées de la bande dessinée dans ses chansons ? “” “Je suis entrée dans la trentaine, mais j’espère avoir une part d’enfance en moi. Quand j’ai commencé, j’étais très naïf, mais je trouve important de garder cette légèreté. L’enfance et les souvenirs qui y sont liés m’offrent un espace de création ainsi qu’un refuge.»
Voyage comique, Sony. Le 16/4, réflecteur. Le 19/7, Dour Festival.