Une mère et son compagnon comparaissent dès ce lundi 20 janvier devant la cour d’assises de Montpellier. Ils sont accusés d’avoir laissé Amandine, 13 ans, mourir de faim.
“Je pensais qu’il y avait un problème.” La vie de Frédéric bascule un soir d’août 2020. Alors qu’il se promène sur le littoral méditerranéen, près de Perpignan, il reçoit un appel de son ex-compagne avec qui il a eu trois enfants : « il y a un problème avec Amandine. Elle est morte, lui dit-elle. Amandine est l’aînée de la fratrie, elle a 13 ans.
Les jours qui suivent le décès de sa fille, Frédéric se rend à l’institut médico-légal de Montpellier. «Ça m’a fait un choc. Le choc surtout, c’est que j’ai eu du mal à la reconnaître au tout début», confie le père. Le petit corps d’Amandine, allongé sur la table en inox, est fin, extrêmement maigre.
“C’était comme si ma fille sortait d’un camp de concentration, les fameuses images qu’on voit à la fin de la Seconde Guerre mondiale, j’avais ça sous les yeux”, explique Frédéric.
En s’approchant du visage creux de son enfant, il remarque des cheveux arrachés et des dents manquantes. « Elle avait des marques sur le visage. Cela a été un très gros choc. » Le jour de son décès, Amandine pesait 28 kilos et mesurait 1,55 mètre. Minceur extrême.
Quatre ans plus tard, à compter de ce lundi 20 janvier, sa mère, Sandrine P., comparaît devant la cour d’assises de Montpellier pour « des faits de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la provoquer ». Le beau-père d’Amandine, Jean-Michel C., est jugé pour « privation de soins et de nourriture ayant entraîné la mort ».
Le « vilain petit canard »
Au lendemain du décès d’Amandine, Sandrine P. a expliqué aux gendarmes venus l’interroger qu’Amandine souffrait de troubles alimentaires depuis le confinement. Et qu’elle se serait étouffée en acceptant de boire un shake protéiné et de manger une cuillerée de compote de pommes. Jean-Michel C. et deux des sœurs d’Amandine confirment ces déclarations.
L’autopsie révèle une réalité bien plus sombre et cruelle. Amandine n’est pas morte d’étouffement, mais d’une crise cardiaque associée à une septicémie, résultat d’une « grave négligence ». Interrogée sur l’extrême maigreur d’Amandine, Sandrine P. affirme ne pas l’avoir remarquée. La veille du décès de sa fille, elle la trouvait « normale ». Elle a constaté une perte de poids, « mais pas grave ».
Un témoignage brise la cellule familiale. Un fils de Sandrine P. confie avoir quitté le domicile familial dès sa majorité. Il a signalé à la police des violences régulières de la part de sa mère durant son enfance. Amandine ? Il était le « vilain petit canard » de la maison. Elle a été la plus « sévèrement punie », « souvent privée de nourriture » et « victime de nombreuses violences physiques de la part de sa mère ».
En mai 2021, après neuf mois d’enquête, Sandrine P. et Jean-Michel C. sont mis en examen. La demi-soeur d’Amandine revient alors sur ses déclarations. Elle affirme qu’Amandine a subi des violences de la part de Sandrine P. Elle lui a « tiré les cheveux », lui a donné des coups de pied et des coups de poing. Amandine a également été privée de nourriture, parfois pendant trois jours.
Elle vole les collations
Amandine a connu la violence et la faim dès son plus jeune âge. Alors qu’elle était à l’école primaire, la petite fille a été surprise en train de voler les collations de ses camarades de classe. En 2014, la directrice de son école constate des bleus sur les genoux, une fesse et même l’épaule d’Amandine, alors en CE1. La petite fille dénonce les abus commis par sa mère, puis se rétracte. Sandrine P. affirme qu’Amandine souffre d’une maladie pour justifier les bleus et la chute de cheveux.
L’Éducation nationale a publié un rapport en 2012 puis en 2014, mais l’aide à l’éducation a classé le dossier sans suite. Une procédure pour « violences sur mineurs par ascendant » a été ouverte en 2014 après plusieurs signalements inquiétants de blessures suspectes sur Amandine. Il est fermé sans autre action.
Dès le collège, Amandine fréquente plusieurs internats. « Des signalements allaient être faits et comme elle sentait qu’il allait y avoir des problèmes, elle changeait d’établissement », pense Frédéric, son père.
-Finalement, lors du premier confinement, en 2020, Amandine retourne au domicile familial pour suivre ses cours à distance. Elle ne suivra aucun d’entre eux et ne retournera jamais au collège.
Enfermé dans un débarras
A Montblanc, le piège se referme sur Amandine. Quasi-prisonnier, l’adolescent passe jours et nuits dans un débarras, seule pièce de la maison dotée d’une serrure. Dans cet espace, Amandine n’a pas accès à la nourriture pendant des jours, et lorsqu’elle en a, c’est loin de sa famille.
Privée d’un puit de lumière naturelle, faute de fenêtre, elle passe des journées interminables entre obscurité et lumière, sans aucun contrôle sur celle-ci. L’interrupteur est situé à l’extérieur du local de stockage.
Sandrine P. affame sa fille et l’espionne. La chambre délabrée est équipée d’une caméra de vidéosurveillance reliée à la tablette de Jean-Michel C. et Sandrine P. Amandine est filmée en train d’exécuter les châtiments infligés par sa mère. Des lignes interminables et dégradantes à écrire dans des cahiers entiers. Quelques jours avant sa mort, Amandine est tombée d’épuisement du tabouret en écrivant ses lignes.
“Nous nous sommes bien amusés ensemble”
Frédéric n’a jamais rien su du calvaire d’Amandine. Ses droits parentaux sur les trois enfants qu’il a eu avec Sandrine P. ont été restreints après plusieurs saisines du juge aux affaires familiales par son ex-conjointe depuis leur rupture en 2009, et un passage au tribunal pour coups et blessures sur son ex-conjointe où il est « innocent », dit-il. Il a droit à un samedi par mois.
Sandrine P. a-t-elle fait payer à sa fille, qui ne souffrait d’aucun trouble alimentaire, son amour pour son père ? Amandine lui a rappelé son ex-conjoint, père de trois de ses enfants.
« Quand nous étions ensemble, Amandine était toujours proche de moi, confie Frédéric. “Nous nous sommes bien amusés ensemble.” Des images d’une balade en luge où Amandine était heureuse, souriante me viennent à l’esprit. « Je l’entends rire, c’est beau. Ce sont de très bons souvenirs.
Sa haine « transposée » sur le corps d’Amandine
Les évaluations psychiatriques et psychologiques de la mère n’ont révélé aucune anomalie mentale. Elle aurait « transposé sa haine » envers le père d’Amandine sur le corps de l’adolescente. « Elle a fait de sa fille un objet à réduire, à soumettre, voire à anéantir, avec l’image diabolique qui était pour elle source de frustration, de déception et de trahison. »
Jean-Michel C. était « coupable d’un tel aveuglement et d’une telle passivité qu’il s’est retrouvé incapable de critiquer le comportement de sa compagne, la laissant commettre des actes odieux », analyse un expert.
Du procès, Frédéric, le père d’Amandine, espère que le monde « puisse enfin savoir ce qui s’est passé ». « Faites savoir à tout le monde qu’elle a commis des atrocités. » Il n’attend pas d’aveux de la part de Sandrine P.
Ce procès est aussi pour lui l’occasion de “mettre en valeur Amandine”. Un moment pour dire combien sa fille était « une très belle personne », « pour laver son honneur, pour élever très haut la voix de ma fille ». Sandrine P. risque la prison à vie. Jean-Michel C. risque 30 ans de prison.