« Elle avait la peau et les os »… Le martyre d’Amandine, morte de faim à 13 ans, devant la justice

Un chiffre suffit à mesurer l’ampleur du calvaire. A 13 ans, Amandine pèse 28 kilos et mesure 1,55 mètre. Pesé, plutôt. Ce 6 août 2020, quand on appelle les secours pour une maladie, il est déjà trop tard. Malgré plusieurs tentatives, ils n’ont pas réussi à réanimer le jeune adolescent qui gisait sur le sol de la maison familiale à Montblanc, dans l’arrière-pays héraultais. Sa mère jure qu’elle s’est sentie mal en mangeant de la compote, mais les pompiers n’en reviennent pas. Son visage porte des traces de coups, ses dents sont cassées, son teint est pâle. Et qu’en est-il de son corps émacié ? «Quand je l’ai vue à la morgue, j’ai eu du mal à la reconnaître», confie son père, Frédéric Florès. La première image qui m’est venue, c’est celle des camps de concentration. Son corps ressemblait à celui des victimes, avec la peau et les os. » L’autopsie est formelle, elle est décédée des suites de « son état cachectique », associé à une septicémie.

A partir de ce lundi et pendant toute la semaine, le martyre de l’adolescent occupera la cour d’assises de l’Hérault. Sa mère, Sandrine Pissara, jugée pour « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort », est soupçonnée d’avoir infligé des violences à Amandine pendant des années, au point de la laisser mourir de faim. Le beau-père de l’adolescente, Jean-Michel Cros, comparaîtra pour privation de nourriture et de soins. Si ce dernier a reconnu, au fil des investigations, une certaine passivité, sa mère a continué de nier les accusations portées contre lui. Convoquée par la police le lendemain, elle a assuré que sa fille était anorexique. Les enquêteurs sont surpris : pourquoi n’a-t-elle pas emmené sa fille à l’hôpital ? Elle jure ne pas avoir apprécié la gravité de la situation car Amandine portait des « vêtements amples ». Sa froideur est frappante : elle décrit sa fille comme une voleuse, une menteuse, « compliquée » dès son plus jeune âge.

“Elle a mangé pour dix”

Les témoignages recueillis au cours de l’enquête ont rapidement fait voler en éclat la thèse d’un trouble alimentaire. « Amandine était petite et maigre mais au pensionnat, elle mangeait pour dix. Nous ne savions pas où elle mettait tout ce qu’elle mangeait », raconte une amie. « Elle mangeait trop pour compenser », analyse sa sœur aînée, qui assure qu’Amandine était régulièrement privée de repas, parfois plusieurs fois de suite. Quand ces privations ont-elles commencé ? À l’école primaire, elle avait la réputation de voler les collations des autres. Un enseignant l’a même surprise en train de fouiller dans les poubelles pour manger les restes d’un biscuit laissé par un enfant. En 2012 – elle était alors en CE1 – l’équipe pédagogique fait un constat, puis un deuxième en 2013, après la découverte de traces suspectes sur son corps. Mais l’enquête a été close en 2014.

Si au début, la famille s’est soudée autour de la version de Sandrine Pissara, petit à petit, les langues se délient. Les deux aînés, nés d’une précédente union, racontent le climat de terreur dans lequel régnait leur mère, augmentant la violence et l’humiliation. Selon eux, le calvaire d’Amandine surpassait tous les autres. « Nous n’avions pas le droit de lui parler ni de lui montrer de marque d’affection », a insisté sa sœur aînée auprès du juge d’instruction. Et pour décrire les lignes interminables, le réduit sans fenêtre qui lui servait de chambre. Ou cette fois où leur mère déposait Amandine dans la campagne et la faisait courir derrière la voiture, lui faisant croire qu’elle allait l’abandonner. «Je suis surpris par le portrait que l’on dresse de mon client», assure Me Jean-Marc Darrigade, l’avocat de Sandrine Pissara. Amandine était une enfant qui faisait l’objet d’un suivi médical et psychologique fréquent, mais personne n’a rien vu pendant des années ? J’ai l’impression qu’on met tout sur son dos. »

Le confinement au cœur du drame

« Je savais que sa mère pouvait être dure et infliger des punitions aux enfants, mais je ne soupçonnais pas un tel degré de violence », confie le père de la victime. Cela faisait trois ans que cet ancien policier n’avait pas vu Amandine, ni les deux autres enfants qu’il a eu avec Sandrine Pissara : le couple était en conflit pour la garde, sur fond d’accusations de violences conjugales. Ils sont séparés depuis 2009 mais la situation s’est détériorée en 2015 lors du déménagement. « Jusque-là, nous vivions dans le même village, je voyais les enfants tous les jours, ils mangeaient souvent à la maison », assure Frédéric Florès. Depuis 2017, les contacts sont irréguliers. « La dernière fois que j’ai parlé avec Amandine au téléphone, c’était en avril. Elle voulait que nous nous voyions davantage mais elle ne m’a jamais parlé de ce qu’elle traversait. Je me sens coupable de n’avoir rien fait…», insiste-t-il.

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Comment se sont déroulés les derniers mois d’Amandine ? Personne, hormis les membres de sa famille, ne l’a vue à partir de la mi-mars 2020, date du début du confinement. Les voisins ont découvert lors de la médiatisation du drame que Sandrine Pissara, qui vivait au village depuis quatre ans, avait trois enfants : ils jurent ne jamais avoir vu Amandine. L’écolière était en internat depuis trois ans, mais revenait tous les week-ends et pendant les vacances. « Amandine pleurait la veille du week-end parce qu’elle ne voulait pas rentrer chez elle, raconte une amie. Lorsque le Covid-19 a frappé, l’internat a fermé ses portes, l’obligeant à revenir. Les derniers SMS échangés avec ses amies remontent au mois d’avril : Amandine leur raconte qu’elle a perdu beaucoup de poids et qu’elle a été “punie de manger”. Elle n’a jamais assisté au cours vidéo et n’est jamais revenue en classe.

Une caméra dans le réduit qui lui servait de chambre

Sa sœur aînée, qui n’habitait pas là, a déclaré l’avoir vue pour la dernière fois en juin 2020. Selon son récit, lorsqu’elle s’est rendue au domicile de sa mère les fois suivantes, Amandine était encore « punie », enfermée dans ce débarras. . Pour ne rien arranger, les enquêteurs ont découvert qu’une caméra de vidéosurveillance y avait été installée. Sur une photo datant de juillet 2020, découverte sur le téléphone de Sandrine Pissara, on voit l’adolescente, nue, prostrée. Dans d’autres images extraites, on la voit très affaiblie à son bureau en train de faire “ses lignes”. « Ce qui est terrible, c’est qu’on voit une fatigue extrême dans notre écriture, confie Me Florian Medico, l’avocat de son père. À sa mort, son corps était couvert d’escarres, blessures liées aux frottements : les experts estiment qu’elle est probablement restée allongée longtemps en raison de son extrême fatigue.

Notre dossier sur les abus

De ce procès, Florian Florès ne sait pas trop à quoi s’attendre. Peut-être un aveu, même s’il en doute. « C’est quelqu’un de très fier, avec un ego fort, donc je n’attends pas grand-chose, confie-t-il. Les psychologues qui ont évalué Sandrine Pissara ont noté « une absence d’empathie et de compassion » et « un égocentrisme exacerbé conduisant à des comportements tyranniques ». Au terme de son enquête, le juge d’instruction a conclu à l’existence d’une « volonté de provoquer une agonie honteuse et humiliante portant gravement atteinte à sa dignité ». Sandrine Pissara risque la prison à vie.

 
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