L’arrivée de nouveaux otages à traiter, le professeur Itai Pessach et ses équipes se préparent depuis plus d’un an, avant même le premier cessez-le-feu de novembre 2023. Au lendemain des atroces attentats du 7 octobre 2023, le chef du L’hôpital pour enfants du complexe hospitalier Sheba, près de Tel-Aviv, a pris en charge l’équipe médicale chargée du retour des otages. « Tout a été mis en place en deux semaines »a-t-il expliqué lors d’une rencontre en septembre 2024 avec des journalistes, dont La Croix.
Jusqu’à présent, une seule trêve d’une semaine avait permis, fin novembre 2023, la libération de 105 otages, en échange de celle de 240 Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes.
Le nouvel accord, conclu entre Israël et le Hamas le 15 janvier et qui doit entrer en vigueur ce dimanche 19 janvier pour permettre la libération de 33 otages et de centaines de prisonniers, lors de la première phase, présente un défi attendu mais redouté par les équipes. Ces derniers accueilleront d’anciens captifs, détenus et déplacés depuis plus de 470 jours, par le Hamas et ses complices à travers la bande de Gaza. « Le plus grand défi concernant les prochains otages est qu’ils arriveront dans un état différent des précédents »a-t-il alors admis.
« Pas de remède évident » pour la prise en charge des anciens otages
L’accueil des premiers captifs à l’automne 2023 avait déjà confronté le personnel de l’hôpital – qui compte environ 1 700 médecins et 2 000 infirmiers – à une profonde remise en question de ses habitudes bien ancrées. « La guerre nous a pris par surprise, mais nous n’étions pas au dépourvu. Sheba a été au centre des soins dans chaque conflit depuis 1948, avec une routine de guerre et des protocoles pour faire face à des pertes massives.expliqua le docteur. Mais on s’est tout de suite dit qu’il fallait se préparer à recevoir les otages et on n’était pas préparés à ça. Prendre soin des hommes, des femmes, des enfants et des personnes âgées détenus par une organisation terroriste : ce n’est pas le rôle habituel d’un hôpital, et il n’existe pas de remède évident pour cela. »
Ni médicament, ni protocole connu pour accueillir les otages nouvellement libérés. L’hôpital dispose cependant d’une équipe de traumatologie psychologique pédiatrique. ” Nous avons donc commencé à rassembler l’expertise du personnel qui s’est occupé d’anciens prisonniers de guerre pendant la guerre du Kippour, à Gilad Shalit. (Soldat franco-israélien capturé en juin 2006 par un commando palestinien à la limite de la bande de Gaza et libéré en 2011, NDLR)nous avons consulté des équipes qui ont traité des fusillades de masse aux États-Unis, des femmes et des enfants capturés par des cartels, des victimes de Boko Haram, etc. afin d’élaborer un protocole »se souvient le médecin.
Tous les professionnels en contact avec les otages – environ 150 médecins, psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, nutritionnistes – se voient ensuite remettre ce document de bonnes pratiques. « Nous avons ensuite formé des professionnels à ce protocole, à parler doucement, à éviter tout contact physique, à ne pas demander ce qui s’est passé en captivité, à créer un environnement adapté. (calme, peu de lumière, exposition progressive vers l’extérieur, etc.) », ajoute-t-il.
-Pour éviter que les ex-otages libérés en 2023 n’aient l’impression d’être à l’hôpital, l’équipe leur donne également davantage l’impression d’être dans un hôtel. Après deux semaines, les équipes du professeur Pessach sont prêtes et attendent des versions qui se font attendre. Fin novembre, après 50 jours de captivité, les premiers otages arrivent. « Au début, il y avait des vieilles dames et des femmes avec des enfants ; nous étions presque les premiers à les entendre ainsi que leurs familles, se souvient le médecin. Ils avaient beaucoup de questions. Parfois, l’un de leurs proches était mort ou captif ; nous avons fait en sorte que ce soit le moins traumatisant possible. »
“Nous nous préparons à de nombreux scénarios”
Surtout, ces patients inhabituels ne réagissent pas comme les médecins l’attendaient. « Certains otages voulaient parler, et la plupart voulaient beaucoup parler. Il y en avait aussi beaucoup qui voulaient toucher, être tenus, vouloir une interaction étroite, explique le docteur Pessach. Ils étaient dans une condition physique moins mauvaise que prévu, ce qui nous a d’abord soulagés, mais ensuite nous avons remarqué des complications chez les plus âgés et des abus physiques ; la plupart souffraient de malnutrition. »
Les équipes médicales veillent également à ce que les otages nouvellement libérés aient accès à un coiffeur et à des soins. Une approche décisive. « L’un des otages ne parvenait pas à dormir et à rester immobile. Nous étions inquiets. Elle nous a dit qu’elle n’avait pas dormi pendant toute sa captivité. Elle a demandé une manucure et cinq minutes après avoir commencé, elle s’est assoupie et a dormi 10 heures d’affilée. Elle se sentait humaine pour la première fois depuis longtemps. se souvient le professeur Pessach.
Depuis cette première vague de libérations, une clinique a également été mise en place pour surveiller les otages. “ Ils ont besoin d’une surveillance mentale et physique tout au long de leur vie. »note le praticien. « À ceux qui disent qu’il n’y a pas eu d’exactions, je réponds qu’aucun otage n’a été épargné physiquement. »
Forts de cette expérience, qui leur a permis de tisser des liens forts avec les victimes et leurs familles, le professeur Itai Pessach et ses équipes savent que le plus dur les attend avec les libérations à venir. « J’ai été impressionné par la résilience et le soutien dont les premiers otages se sont montrés pendant leur captivité. J’ai peur que ceux qui reviendront après tout ce temps n’auront pas ça, et quandl’esprit lâche prise, le corps aussi. Je suis sûr que ce que nous avions imaginé sera différent. Nous nous préparons à de nombreux scénarios. »