Des milliers de patients psychiatriques hospitalisés en détention préventive contre leur gré au-delà des limites fixées par la loi ont droit à une indemnisation de 1 000 dollars par jour de privation illégale de liberté. La Cour supérieure du Québec vient d’autoriser le règlement d’un recours collectif de 8,5 millions de dollars lancé par un groupe de défense des droits en matière de santé mentale.
En fonction de quoi Devoir Comme on l’a appris, cette entente met fin à un différend entre les centres intégrés de santé et de services sociaux (le CISSS et le CIUSSS) et les organismes de défense des droits des patients, qui dénonçaient depuis longtemps un recours jugé abusif à la garde préventive des personnes en crise. .
Ce règlement à l’amiable ne constitue aucunement une « reconnaissance de responsabilité » de la part des autorités de la santé et des services sociaux, mais accorde néanmoins 8,5 millions de dollars pour compenser l’hospitalisation préventive des patients, sans leur plein consentement, au-delà de la limite de 72 heures déterminée par loi.
Action Autonomie, un collectif montréalais de défense des droits en santé mentale qui a mené cette action collective, se réjouit de la conclusion de cette entente. Cela suggère un changement dans ce qui est décrit comme la « détention illégale » de patients extrêmement vulnérables.
« Des milliers de personnes ont été privées de leurs droits légaux. Il y a là une stigmatisation», a déclaré Jean-François Plouffe, responsable des dossiers et des communications au sein du collectif.
Des patients mal informés
La loi québécoise permet l’hospitalisation forcée d’une personne, sur ordonnance d’un médecin, pour une durée pouvant aller jusqu’à 72 heures si elle représente un danger « grave et immédiat » pour elle-même ou pour autrui. Passé ce délai, le patient a le droit de quitter l’hôpital s’il le souhaite.
Une ordonnance de la Cour du Québec est requise pour maintenir l’hospitalisation pour une période additionnelle de 96 heures. Et il faut avoir deux expertises psychiatriques pour demander au tribunal de maintenir une personne à l’hôpital contre son gré pendant une autre période, allant généralement de 21 jours à 30 jours.
Les dossiers judiciaires indiquent qu’au fil des années, de nombreux patients ont été placés en détention préventive bien au-delà du maximum légal de 72 heures – le tout sans ordonnance du tribunal, bien que la loi l’exige. La durée moyenne de la détention préventive était de sept jours en 2014, soit environ le double de la limite légale, indique une étude réalisée par Action Autonomie.
Dans des rapports publiés en 2011, tant le Protecteur du citoyen que le ministère de la Santé du Québec ont signalé des irrégularités dans l’application de la loi régissant la détention préventive.
Le rapport d’enquête ministériel souligne que les patients ne sont pas toujours informés de leurs droits. Ils ignorent souvent qu’ils sont en détention préventive et qu’ils ont la possibilité de refuser une expertise psychiatrique susceptible de les priver de liberté – une pratique qualifiée de « statut ambigu ». Les personnes ne se sont pas nécessairement opposées à leur hospitalisation, mais elles n’ont pas non plus donné leur consentement éclairé à cette privation de liberté.
Des séjours traumatisants
Emmanuelle Bernheim, professeure de droit civil à l’Université d’Ottawa, déplore le « flou » entourant le consentement du patient. « Le consentement doit être obtenu, normalement par écrit. Si nous n’informons pas les gens de leurs droits, sont-ils vraiment consentants ? [à leur perte de liberté] ? » demande-t-elle.
-Le professeur souligne que les patients placés en soins préventifs sont souvent des personnes vulnérables, démunies, qui vivent dans une grande précarité ou en situation d’itinérance. Ils arrivent à l’hôpital en crise, voire en psychose. « Il est difficile pour ces personnes d’accéder aux soins de santé avant d’être en crise. C’est traumatisant pour eux d’être hospitalisés contre leur gré. Après, les gens perdent confiance dans le système de santé », explique-t-elle.
Un changement d’orientation a été opéré après un arrêt de 2018 de la Cour d’appel qui concerne la détention préventive. Les protocoles ont été améliorés ; le personnel médical et les patients sont mieux informés. Un examen des procédures entourant la détention préventive est également en cours par l’Institut québécois pour la réforme du droit et de la justice, souligne le professeur.
Des procédures lourdes
L’Association des psychiatres du Québec (AMPQ) estime que l’encadrement de ces procédures doit être simplifié, notamment pour intégrer « les intérêts des patients ». Les procédures actuelles “sont extrêmement lourdes pour le système hospitalier et judiciaire”, estime le Dr Maxime Dussault-Laurendeau, psychiatre à l’hôpital Charles-Le Moyne, à Longueuil, et membre du bureau de l’AMPQ.
Il rappelle que deux audiences au tribunal sont nécessaires avant de pouvoir maintenir en observation les patients les plus malades, qui arrivent en grande détresse, pendant une vingtaine de jours. Ces patients sont hospitalisés pour leur sécurité ou celle de la société sans nécessairement avoir droit à des traitements élaborés.
En Ontario, les médecins ont le pouvoir d’ordonner des soins en établissement sans ordonnance du tribunal. Cette décision prend en compte non seulement la sécurité publique, mais aussi les intérêts des patients, souligne le Dr Dussault-Laurendeau. Les patients peuvent contester ces décisions devant un tribunal administratif qui visite les hôpitaux.
Appel au public
Action Autonomie estime que, rien qu’en France métropolitaine, environ 3 500 patients par an ont fait l’objet d’une détention préventive dépassant les délais légaux entre le 1est janvier 2015 et le 4 novembre dernier, période d’éligibilité à l’indemnisation obtenue dans le cadre du recours collectif.
Entre 25 000 et 30 000 Montréalais, auxquels il faut ajouter des patients provenant d’autres régions du Québec, auraient ainsi droit à une compensation financière.
Il est plausible que seule une fraction de ces personnes s’inscrivent à l’action collective, car il s’agit d’une population généralement isolée et difficile à atteindre. L’organisme lance donc un appel à la population pour que les personnes ayant droit à une indemnisation s’inscrivent auprès de la firme Proactio, mandatée pour administrer les résultats de cette action collective.
Les patients blessés recevront jusqu’à 1 000 dollars par jour de privation illégale de liberté, une somme tirée d’un fonds de 3,6 millions de dollars issu de l’accord. Les organismes qui défendent les droits ou soutiennent les personnes ayant des problèmes de santé mentale se partageront également 4,4 millions de dollars.